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L’Empire britannique en mutation

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(Nouvelle Solidarité) – Après la défaite militaire infligée par la Ligue de Cambrai à Venise le 14 mai 1509, une dispute féroce divisa les élites de l’Empire vénitien. Pour les « giovini » [les jeunes], la preuve était faite que Venise, en dépit de sa lagune, n’était plus une place militaire imprenable.

Plus profondément, la découverte du « Nouveau monde » déplaçait l’épicentre de l’espace géopolitique mondial de la Méditerranée vers l’Atlantique. « Déménager Venise » vers Amsterdam, puis Londres, comme le réclamait les giovini, n’était donc qu’une adaptation aux nouvelles réalités du jour.

L’Empire britannique semble vouloir franchir une fois de plus le cap d’une telle mutation. D’après une source américaine de haut niveau qui s’est entretenue avec la délégation britannique accompagnant le Premier ministre David Cameron lors de sa visite à Washington, les Britanniques envisagent de mettre un terme à la fameuse « relation spéciale » unissant leur île avec les États-Unis.

Prenant la parole le mardi 20 juillet devant un groupe de responsables américains, le porte-parole de la délégation de Cameron n’a pas mâché ses mots : constatant ce qu’ils estiment le déclin inarrêtable des États-Unis, c’en est fini avec la « relation spéciale » anglo-américaine et les Britanniques font des plans pour un monde « post-États-Unis ».

Selon ce porte-parole, les nouvelles relations britanniques seront axées sur le Brésil et l’Inde, et Londres pourrait même délocaliser le siège du Commonwealth vers ce dernier pays. L’Angleterre s’imposera une austérité draconienne ainsi qu’une réduction de sa présence militaire dans le monde. Cependant, les Iles britanniques s’en sortiront, paradoxe délicieux, grâce à une politique Hamiltonienne (une politique dirigiste de crédit public orienté pour relancer la production manufacturière, conceptualisée au XVIIIème siècle par le premier secrétaire au Trésor américain, Alexander Hamilton).

Le signal envoyé par cette missive ? Après avoir promu pendant plus de quarante ans une politique d’autodestruction, une politique dont Obama n’est qu’un instrument, les Britanniques estiment qu’ils n’ont plus besoin des États-Unis pour perpétuer leur Empire.

Constatons que Cameron conduira cette semaine la plus grande délégation diplomatique et commerciale de l’histoire en Inde – « joyau de la Couronne » comme l’affirme The Guardian. Si les travaillistes britanniques avaient des relations tendues avec l’Inde, la nouvelle équipe est engagée dans « une tentative sans précédent visant à séduire cette puissance émergeante ». Alors que l’Inde était le quatrième plus important partenaire commercial de l’Angleterre, elle est passée au dix-huitième rang sous Tony Blair.

Une figure clef dans cette offensive pour forger une nouvelle « relation spéciale » avec l’Inde, est le Parlementaire conservateur Jo Johnson, ancien correspondant du Financial Times en Inde. Écrivant dans l’hebdomadaire The Spectator, Johnson écrit qu’« en se déplaçant en compagnie de tant de ses éminents collègues en Inde, et à une heure aussi précoce, Cameron signale clairement son intention de revitaliser une relation bilatérale critique et de réparer ce qu’il considère comme une décennie de négligence ».

Cameron, qui fut très bien reçu en Inde en 2006 parce qu’il n’était pas Blair, a déclaré que l’Angleterre était « obsédée par l’Europe et les États-Unis » et qu’il compte s’engager avec plus d’énergie « dans des parties du monde où nos intérêts stratégiques seront de plus en plus un enjeu ». Pour cela, il est urgent de nouer des relations avec la nouvelle génération de jeunes dirigeants indiens, tels que Rahul Gandhi, le fils de Sonia Gandhi, et d’autres.

Jo Johnson suggère également que l’on nomme comme « envoyé spéciale » Richard Lambert, l’ancien chef de la Confédération de l’industrie britannique, lui aussi un ancien éditeur du Financial Times. Notez ici que Johnson et Lambert sortent du fameux Balliol College d’Oxford, depuis les Round Tables d’Alfred Milner, le bastion principal de la pensée géopolitique impériale britannique.

Johnson note que les sociétés indiennes font mordre la poussière aux compagnies britanniques et que « la croissance indienne équivaut à tout ce que l’on trouve en Europe ». L’Inde projette d’imprimer sa marque dans « ce jeune siècle. C’est une Inde qui n’a besoin ni de l’aide britannique, ni de la validation de son progrès. » La délégation britannique, conclut Johnson, « découvrira que nous avons plus besoin de l’Inde qu’elle de nous ».