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Le réquisitoire contre l’Arabie Saoudite par l’ancien chef
de la Commission d’enquête sur les attentats du 11 septembre

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Par Jeffrey Steinberg, Executive Intelligence Review (EIR)

Graham, Bob, Intelligence Matters : The CIA, the FBI, Saudi Arabia, and the Failure of America’s War on Terror ; Random House, New York, 2004, 297 pages, $24.95.

Avant qu’il ne prenne sa retraite du Sénat américain en janvier 2005, le sénateur Bob Graham (Démocrate de Floride) a siégé une décennie à la commission du Sénat sur le Renseignement, pour en prendre finalement la présidence au cours de la période autour des attentats du 11 septembre 2001. Il a été à la tête de la Commission parlementaire bi-partisane sur les failles du renseignement américain concernant les attentats du 11 septembre.

Eu égard aux services rendus à la nation, le sénateur Graham aurait pu prendre une retraite tranquille d’ancien homme d’État en Floride. Il a assumé des mandats d’élu pendant 38 ans, d’abord à la Chambre des représentants et au Sénat de Floride d’abord, et jusqu’à remplir deux mandats en tant que Gouverneur le plus populaire et le plus apprécié de cet État, pour être enfin élu au Sénat des États-Unis, où il a siégé pendant 18 ans.

Mais l’ancien sénateur Bob Graham est un homme de mission. Ayant présidé l’enquête parlementaire bipartisane sur le 11 septembre, il est convaincu, à ce jour, que deux présidents successifs – George W. Bush et Barack Obama – ont volontairement dissimulé le rôle du Royaume d’Arabie Saoudite, y compris de membres importants de la famille royale et de la Direction Générale du Renseignement d’Arabie Saoudite (GID), dans les attentats du 11 septembre.

En 2010, frustré de voir qu’on continuait de cacher le rôle de la famille royale d’Arabie Saoudite dans les attentats terroristes les plus graves qui aient eu lieu sur le sol américain, le sénateur Graham écrivit une nouvelle, dans laquelle il dévoila en totalité le rôle des saoudiens, exposant l’affaire sans trahir aucun secret de sécurité nationale.

En 2004, avant de prendre sa retraite du Sénat des États-Unis, Bob Graham publia un rapport non fictif sur les découvertes de la Commission bipartisane, évitant soigneusement de révéler au public toute information classifiée secret défense. Ce livre, Intelligence Matters , est un exposé cuisant de la dissimulation systémique par les agences de renseignement et d’application des lois des États-Unis.

Dans les limites de ce qu’il pouvait publier, le sénateur Graham a fait également un exposé convaincant sur le fait que des éléments à l’intérieur du gouvernement saoudien ont joué un rôle direct dans les événements du 11 septembre.
Au-delà des 28 pages

Pendant longtemps la plus grande fureur du sénateur Graham fut dirigée contre la Maison-Blanche de Bush-Cheney, pour avoir bloqué la publication d’un chapitre de 28 pages du pré-rapport de sa Commission bipartisane, qui exposait le rôle de celui qui était alors ambassadeur d’Arabie Saoudite aux États-Unis, le Prince Bandar bin-Sultan, dans le financement des attentats du 11 septembre.

Maintenant, c’est en partie à l’actuel occupant du Bureau ovale, Barack Obama, qu’il en veut. Au cours d’une interview en septembre 2011 avec Dylan Ratigan de MSNBC, le sénateur Graham confirma qu’il avait tenté, à de multiples reprises, d’obtenir du Président Obama qu’il ouvre à nouveau l’enquête sur le 11 septembre, à commencer par la déclassification du chapitre de 28 pages.

Il avait déclaré à Ratigan qu’il s’était personnellement adressé à John Brennan, le conseiller du Président Obama pour l’anti-terrorisme à la Maison Blanche et ancien officier de la CIA, et l’avait imploré d’obtenir du Président qu’il rende publics les secrets du 11 septembre et les liens avec les saoudiens.

Aujourd’hui, presque quatre ans au cœur de la présidence Obama, personne n’a levé le petit doigt pour briser le silence. Bien au contraire, le président Obama a renforcé son contrôle sur le dossier saoudien du 11 septembre, en ordonnant à l’Avocat général début 2009 d’intervenir auprès d’un tribunal fédéral pour assurer l’immunité totale à la famille Royale d’Arabie Saoudite contre toutes poursuites judiciaires dans ce dossier !

Le sénateur Graham et des responsables hauts placés du renseignement américain ont confirmé disposer de nouveaux éléments prouvant que la dissimulation va bien plus loin encore que cela. Le FBI, d’une part, a été profondément impliqué dans l’étouffement du scandale. Dans son rapport sur l’enquête parlementaire du 11 septembre de 2004, le sénateur Graham a cloué le FBI au pilori pour avoir refusé de permettre à son équipe d’enquêteurs – comprenant deux agents spéciaux du FBI mis à la disposition par le FBI – d’interviewer un informateur du FBI qui avait hébergé deux des meneurs des pirates de l’air du 11 septembre à San Diego, en Californie. Le FBI, sous les ordres de la Maison-Blanche de Bush, avait refusé de permettre à la Commission d’interviewer l’agent traitant qui s’occupait de l’indic – même après que les détails sur les relations qu’entretenait l’informateur avec les deux pirates - Nawaf al-Hazmi et Khalid al-Mihdhar — aient été publiés dans l’hebdomadaire Newsweek et d’autres publications. Au final, le FBI avait isolé l’indic au sein du Programme fédéral de protection des témoins, afin d’assurer qu’aucun enquêteur ne puisse l’atteindre.

En 2011, les preuves d’une volonté d’étouffer le scandale par le FBI se sont multipliées à la suite d’un solide travail d’investigation par l’auteur Anthony Summers et Dan Christensen, l’éditeur du Broward Bulldog, un journal en ligne du Comté de Broward, en Floride.

Ce que Summers et Christensen ont découvert c’est qu’un autre saoudien fortuné, ayant des liens étroits avec la famille royale, avait été en contact avec trois autres pirates de l’air dans la région de Sarasota, en Floride, y compris le chef présumé des pirates de l’air, Mohammed Atta.

Atta, Marwan al-Shehi, et Ziad Jarrah s’étaient tous rendus à Sarasota, au domicile de Abdulazzi al-Hiijjii, de son épouse Arnoud, et de son beau-père Esam Ghazzawi, à de nombreuses occasions.

Mystérieusement, toute la famille al-Hiijjii a soudainement abandonné ce lieu le 30 août 2001— moins de deux semaines avant les attaques du 11 septembre. Ils ont clairement fui dans la précipitation, laissant de la nourriture sur la table, les voitures dans l’allée, l’eau couler dans la piscine et des couches sales dans les chambres. Transitant par les aéroports de Dulles et Heathrow (Royaume-Uni), les al-Hiijjiis sont arrives à Riyad, en Arabie Saoudite, à la veille des attentats du 11 septembre.

Le FBI a été alerté des liens entre les al-Hiijjii et les pirates de l’air du 11 septembre par les sheriffs locaux et par la direction de la sécurité de la résidence où vivait la famille saoudienne. Dès le lendemain des attentats du 11 septembre, des agents du FBI cernaient le complexe, interviewant des voisins et fouillant la maison. Au final, l’analyse des enregistrements téléphoniques a révélé des communications téléphoniques avec les 11 pirates de l’air !

Le sénateur Graham, l’équipe d’enquêteurs de l’enquête parlementaire bipartisane, et l’équipe de la Commission subséquente au 11 septembre n’ont jamais été tenus au courant par le FBI des liens entre Sarasota et les pirates du 11 septembre.

Il a été confirmé plus tard qu’al-Hiijjii et son beau-père, Esam Ghazzawi, étaient en contact étroit avec des membres de la famille royale. Ils figuraient également sur la liste gouvernementale des Etats-Unis de terroristes suspects avant les attentats du 11 septembre.

Tout cela a été dissimulé par le FBI. Le prétexte ? Les pistes ont été suivies, mais n’aboutissaient à rien.

San Diego et Bandar

Le 15 août 2002, le sénateur Graham se trouvait à Tallahassee, en Floride. Il a reçu un appel urgent du directeur d’équipe de la Commission bipartisane du 11 septembre, Eleanor Hill, lui demandant d’utiliser un téléphone sécurisé pour un briefing concernant des découvertes surprenantes.

Ironiquement, le sénateur Graham a dû se rendre au bureau du FBI pour recevoir cet appel. Hill a alors appris à Graham que deux de ses investigateurs – Mike Jacobson et Tom Kelly – avaient passé au peigne fin des dossiers du bureau du FBI de San Diego et découvert des informations sur les liens entre l’informateur du FBI et deux des pirates de la côte Ouest, al-Mihdhar et al-Hazmi. Jasobson avait été procureur et analyste anti-terroriste pour le FBI et Kelly avait servi en tant que conseiller de l’assistant général du Bureau, avant d’être affecté à l’enquête parlementaire bipartisane.

Le jour suivant, Hill appela à nouveau le sénateur et lui demanda d’utiliser encore une ligne sécurisée. «  Nous avons trouvé d’autres choses dans les dossiers du bureau de San Diego  », a-t-elle dit à Graham, « Il y a deux pistes financières qui mènent à Omar al-Bayoumi. »

Al-Bayoumi était un agent connu de la Direction Générale du Renseignement saoudien (GID), qui avait été déployé à San Diego pour espionner les étudiants saoudiens qui pourraient être liés à Al-Qaïda.

En janvier 2000, al-Bayoumi et Osama Basnan, un autre agent du GID ont été affectés à une autre mission : accueillir deux nouveaux ressortissants saoudiens - al-Hazmi et al-Mihdhar. Al-Bayoumi et Basnan obéirent totalement aux ordres, fournissant l’hébergement aux deux nouveaux ressortissants à San Diego, une voiture, une assistance pour se faire inscrire à l’école d’aviation.

Pendant la période au cours de laquelle al-Bayoumi et Basnan « prenaient en charge » les deux futurs pirates, al-Bayoumi était rémunéré par différents fonds saoudiens – y compris par des comptes bancaires de l’ambassadeur en Arabie Saoudite, le Prince Bandar bin-Sultan et sa femme, sœur du Prince Turki bin-Faisal, le chef de l’époque du GID saoudien.

Al-Bayoumi était un employé fictif d’une entreprise saoudienne, Ercan, qui avait un contrat avec Dallah Avco Aviation, une société gouvernementale saoudienne appartenant à Saleh Kamel, un riche saoudien membre de « Golden Chain », un réseau de businessmen et de princes saoudiens excessivement riches qui finançaient Al-Qaïda.

Lorsque des superviseurs d’Ercan se sont plaints vers 1999 de l’absence de présence d’al-Bayoumi à son travail, le directeur général de l’Aviation Civile saoudienne a écrit au manager de l’entreprise, menaçant de rompre tous les contrats avec la société s’ils n’effectuaient pas des retenues sur salaire à al-Bayoumi.

Dès le début de son travail chez Ercan, al-Bayoumi touchait 2 800 dollars par mois, plus 465 dollars mensuels pour ses frais. Cependant, lorsque les deux futurs pirates de l’air saoudiens sont arrivés en Californie du Sud, le montant pour les dépenses d’al-Bayoumi sont passés à 3 700 dollars par mois.

Lorsque le sénateur Graham a demandé à Hill, le manager d’équipe, une explication quant à l’explosion soudaine des frais d’al-Bayoumi, elle a simplement déclaré, « on dirait qu’al-Bayoumi a servi à transférer des fonds d’Ercan et probablement de Dallah Avco à al-Hazmi et al-Mihdhar. »

L’autre source – encore plus controversée - de financement pour les pirates de l’air de San Diego est venue également d’al-Bayoumi et de son partenaire Osama Basnan (lorsque Basnan a été arrêté pour trafic de cocaïne quelques années plus tôt, l’ambassade saoudienne à Washington est intervenue pour faire lever les charges contre lui).

Le Prince Bandar a fourni personnellement à Basnan une somme estimée à 15 000 dollars, soi-disant pour des soins médicaux et pour sa femme ; et la femme du Prince Bandar, la Princesse Haifa bin-Faisal, signait un chèque mensuel de 3 000 dollars à la femme de Basnan. Tout confondu, le canal Bandar a fourni à Basnan entre 50 et 72 000 dollars en prévoyance des attentats du 11 septembre. Le prince Bandar, qui a dû plus tard justifier les sorties d’argent en faveur des acteurs du renseignement saoudien pour les pirates du 11 septembre, avait inscrit ces sommes comme de simples « dons à des oeuvres de charité ».

Ce que le sénateur Graham ne savait pas

Au moment même où les Bandar, mari et femme, fournissaient des fonds à Basnan et al-Bayoumi pour établir sur la côte Ouest l’équipe du 11 septembre, l’ambassadeur saoudien recevait une somme estimée à 2 milliards de dollars, comme « cachet » en provenance de l’accord de troc Al-Yamamah « pétrole contre armes », qu’il avait mis en place avec le gouvernement britannique et le Ministère de la Défense saoudien.

De 1985 à l’époque du 11 septembre et au-delà, l’accord Al-Yamamah a généré plus de 100 milliards de dollars de profits qui ont été déposés sur des comptes en banque offshores, administrés en commun par les saoudiens et les britanniques, afin de mener des opérations clandestines dans le monde entier.

De plus, Bandar et d’autres officiels britanniques ainsi que des princes ont reçu d’énormes sommes, parfois en milliards de dollars. C’est cette immense machine à cash qui a financé les attentats du 11 septembre, et l’on peut voir les empreintes des britanniques et des saoudiens dans toutes les transactions.

Les voyages d’Al-Mihdhar

Bien qu’avec l’aide des deux agents saoudiens du GID Basnan et al-Bayoumi, Khalid al-Mihdhar était envoyé dans une école d’aviation dans le sud de la Californie, en juin 2000, six mois après son arrivée, il quitta les États-Unis pour se voir assigner une autre mission critique pour les attentats du 11 septembre.

Pendant les treize mois qui suivirent, il a voyagé partout en Europe et au Moyen-Orient, tout d’abord en Allemagne, puis de là au Yémen. La mission d’Al-Mihdhar était de recruter le « muscle » de l’opération – les hommes qui maîtriserait les pilotes, l’équipage et les passagers alors que les pilotes entraînés prendraient les commandes des avions pour les envoyer dans les tours.

Al-Mihdhar a voyagé du Moyen-Orient au Sud-Est de l’Asie, remontant même en Afghanistan. Malgré le fait qu’il ait assisté à une rencontre fin 1999 à Kuala Lumpur, en Malaisie, où le complot a été visiblement conçu, al-Mihdhar n’a eu aucun mal à obtenir un nouveau visa pour entrer à nouveau aux Etats-Unis en juillet 2001.

Le fait qu’al-Mihdhar et al-Hazmi aient été financés par une vitrine du Ministère saoudien de l’aviation civile et par l’ambassadeur saoudien à Washington – et le fait que al-Mihdhar a été un personnage central dans le recrutement de la majorité des pirates du 11 septembre – souligne le rôle d’officiels saoudiens hauts-placés et de la famille royale dans ce scénario. La complicité du président Bush et de son successeur, le président Obama, dans l’étouffement de la complicité du financement saoudien du 11 septembre est peut-être le plus grand crime contre le peuple américain depuis le silence imposé sur les auteurs de l’assassinat du président John F. Kennedy.

La quête du sénateur Graham continue

Le 11 septembre 2012, le sénateur Graham a publié un éditorial, signé par lui, dans le Huffington Post, qui commence ainsi : « Le temps qui s’est écoulé depuis le 11 septembre 2001 n’a pas diminué la méfiance que beaucoup d’entre nous ressentent à l’égard de la version officielle concernant l’organisation des attentats, et surtout, la question de qui les a financés et soutenus. Onze ans plus tard, le temps est venu pour les familles des victimes, les survivants et tous les Américains de savoir ce qu’il y a vraiment derrière le 11-Septembre.

«  Ce n’est pas seulement une question de livres d’histoire. Il s’agit aujourd’hui d’une question de sécurité nationale. Si un réseau de soutien était disponible pour les terroristes avant le 11 septembre, pourquoi devrions-nous penser qu’il a été démantelé ? Peut-être est-il toujours en place, susceptible de soutenir Al-Qaïda ou d’autres groupes extrémistes qui haïssent l’Amérique – et ils sont nombreux. »

Après avoir mentionné les 28 pages manquantes au rapport de sa Commission parlementaire bi-partisane, le sénateur Graham a ajouté, « Hélas, ces 28 pages représentent seulement une partie de la preuve de la complicité des saoudiens que notre gouvernement continue de protéger de la vue du public. »

Le sénateur Graham a cité un autre document explosif, un rapport de 16 pages de la CIA intitulé : « le soutien financier saoudien aux organisations terroristes. » Lorsque les familles des victimes du 11 septembre ont fait une demande sous l’égide du Freedom of Information Act (FOIA) pour obtenir le document, (il était cité dans les notes du rapport de la Commission sur le 11 septembre), « c’est notre propre gouvernement qui a choisi chaque mot du texte » qui a été rendu public.

Le sénateur Graham conclut : « Tout ce que l’enquête bipartisane a appris – et qui depuis a fait surface – pointe dans une seule et même direction. La direction de l’Arabie Saoudite, et il est nécessaire de connaître toute la vérité. »