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Le paradigme de développement des BRICS et la noble mission du Canada

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Ressusciter l’esprit du CANDU

Ramtanu Maitra est ingénieur nucléaire et chef d’antenne du bureau de New Delhi de l’Executive Intelligence Review ; depuis trente ans, il a joué un rôle important au côté de Lyndon et Helga LaRouche pour faire naître ce qui est en train d’émerger avec le paradigme de développement associé aux BRICS. Il a été interviewé le 21 novembre 2014 par Robert Hux du Comité pour la République du Canada.

Robert Hux- L’émergence d’un Nouvel Ordre Économique Mondial basé sur la justice auquel sont associés les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, et Afrique du Sud) constitue un changement dramatique pour le monde. Qu’en pensez-vous ?

Ramtanu Maitra- Je pense qu’il s’agit d’une évolution naturelle de divers éléments qui, en fait, aurait dû se produire plus tôt. Le fiasco de l’ancien ordre économique international sous la gouverne des nations transatlantiques, a créé une situation où les stimulations, monétaires ou autres, pour aider les nations en voie de développement à se développer n’existaient absolument pas. Or, pendant ce temps la population augmentait, et les besoins devenaient de plus en plus grands.

Le nom de « BRICS » a été inventé par un employé de Goldman Sachs qui s’appelle Jim O’Neil, je crois. Il désigne 5 nations : le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Cependant, bien avant que ce nom ait été créé, de grands changements se produisaient à l’intérieur du territoire eurasiatique et, pour une chose, la Chine connaissait une période de développement depuis 1980 ; et, à un certain moment, les Chinois ont atteint un point où, pour continuer de croître, il leur est apparu évident qu’il fallait relier l’Asie et l’Europe à travers ce qu’ils ont appelé la Nouvelle Route de la Soie. Ils ont ensuite ajouté à cela un nouvel élément qui est la Route de la Soie maritime, qui vise à relier par voie de mer l’Afrique, l’Ibéro-Amérique et l’Amérique du Nord.

Donc, avant que l’association des BRICS n’eut été créée formellement en 2014, le processus avait déjà été amorcé en Chine. Puis deux choses se sont produites. La première s’est produite au Brésil en juillet 2014, lorsque se sont réunis les dirigeants de ces 5 états, Dilma Roussef du Brésil, Jacob Zuma de l’Afrique du Sud, Vladimir Poutine de Russie, Narendra Modi de l’Inde, et Xi Jinping de la Chine. Les cinq semblent excessivement dynamiques. Ils voulaient aller de l’avant et se lancer dans le développement de leurs territoires, et, ce faisant, ils ont prouvé que le vieil ordre économique international était complètement ruiné, en raison du pillage auquel se sont livrés les financiers et les spéculateurs des nations occidentales.

On peut donc dire que le concept « BRICS » existe déjà depuis quelques années. Il s’est matérialisé avec la réunion de ses 5 dirigeants à Fortaleza au Brésil, en raison de circonstances particulières, celles où Modi et Xi Jinping commençaient à peine leur mandat, et celle où Poutine, constatant le type d’opérations que les nations occidentales menaient pour miner et même détruire la Russie en montant la Géorgie et l’Ukraine contre elle et à travers diverses opérations dans des endroits comme la Tchétchénie, le Daghestan et l’Ossétie, entre autres, réalisait que du point de vue de la sécurité de la Russie, et aussi de tout autre point de vue, cet alignement avec la Chine et l’Inde, qui sont pratiquement contigües, constituait une stratégie qui lui permettrait de développer son pays tout en garantissant sa sécurité. De stabiliser la Russie et stabiliser les régions frontalières de la Russie. Donc cela s’est produit à la mi-juillet. C’est là qu’ont été créés la Nouvelle banque de développement (NBD) et un système de réserve en devises (Contingency Reserve Agreement CRA), et un peu plus tard, au début de novembre, la Chine et plusieurs autres pays asiatiques ont annoncé la formation de la Banque Asiatique d’Investissement dans les Infrastructures (BAII).

Il semble donc que la Banque asiatique d’investissement dans l’infrastructure, ait été particulièrement créée pour le développement de l’Asie.

Mais la Nouvelle banque de développement des BRICS et le CRA existent pour toute nation voulant y participer. C’est essentiellement ce qui a été dit. Ces banques ne sont pas encore entrées en fonction. Elles le seront en 2015. Mais les secrétariats de ces groupes travaillent présentement à en établir les différentes modalités. On s’attend à ce que ces banques de développement rendent disponible l’argent pour financer des propositions de développement. Contrairement aux prêts liés aux conditionnalités de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international qui n’ont jamais permis aux pays en voie de développement d’obtenir suffisamment d’argent pour développer de façon indépendante leurs pays, ces prêts ne seront pas liés à ce genre de conditionnalités.

Il y avait donc une énorme demande pour ce genre d’effort. Et ces 5 dirigeants se sont rencontrés et ont constaté que le moment était venu de faire de nouveaux efforts pour développer le monde. Et ils n’ont aucune politique d’exclusion. Tout le monde peut y participer. L’Occident, entre autres, peut les joindre. Notons, et la chose est d’importance, que ces 5 pays considèrent également que le développement et la sécurité de leur pays vont de pair et, de ce point de vue, bien sûr, le développement d’infrastructures est très important.

Mais laissez-moi vous dire autre chose. En 1995, bien avant que ce Jim O’Neil ait créé ce nom de BRICS, M. Lyndon H. LaRouche avait mentionné aux dirigeants indiens, lors de diverses rencontres, qu’il était temps de considérer la Russie, l’Inde et la Chine, ces trois-là ensemble, comme un moteur pour la croissance. C’est à ce moment-là que la réflexion a commencé. Mais à cette époque, la Russie était toujours dans le processus de démantèlement de l’Union soviétique. Et cela a été suivi du pillage pur et simple de la Russie, par les spéculateurs en Russie, les oligarques et diverses autres forces.

La Russie était très faible. La croissance de l’Inde n’avait pas encore atteint un rythme rapide. La croissance de la Chine était déjà importante, mais ses réserves financières n’étaient pas suffisantes à cette époque pour que cette alliance s’épanouisse. En 1999, j’assistais à une conférence internationale à New Delhi, où se trouvaient des Russes, des Chinois et bien sûr des Indiens. Grâce à l’aide du Dr Rybakov de l’Académie des sciences de Russie, qui dirigeait la branche de St-Petersbourg de l’Institut d’études orientales, du professeur MaJiali de l’Institut de relations internationales contemporaines de Chine et du Dr Devendra Kaushik, président de l’Institut d’études asiatiques Maulana Azad de Calcutta, qui dirigeait la conférence, j’ai formé, après la conférence une association tripartite regroupant la Chine, l’Inde et la Russie. J’étais le coordonateur. Cela se passait en 1999. La conférence était sponsorisée par le Premier ministre indien de l’époque, Atal Behari Vajpayee.

Nous avons enregistré notre association en Inde. Je pense qu’elle a aussi été enregistrée en Russie. Mais le participant chinois, Ma Jiali, m’a dit que cela serait très difficile d’enregistrer quoique ce soit d’étranger dans ce pays. Donc je ne l’y ai pas enregistré. Mais subséquemment, j’ai tenu une conférence de presse à New Delhi où beaucoup de gens sont venus, y compris le chargé de presse de l’ambassade russe. De nombreuses personnes vinrent, mais elles me regardaient d’une façon bizarre : « De quoi parlez-vous ? La Russie et la Chine sont en complet désaccords. L’Inde et la Chine vont dans deux directions différentes. Ils pensent de deux façons différentes. Comment pensez-vous faire pour que cela fonctionne ? » Et ma réponse était : Ce n’est pas parce que je les incite à former cette alliance. C’est plutôt que cette alliance va de soi. C’est évident qu’elle doit se produire, simplement parce que l’ancien ordre monétaire international est fini. Les dirigeants de cet ordre monétaire sont maintenant complètement impliqués à aider au pillage qui se produit sous forme de spéculation et d’argent frauduleux. Il deviendra bientôt évident pour chacun de nos pays qu’il n’y a pas d’autre option et que cela doit être fait. Et à cette époque, entre 1999 et 2014 un certain nombre de choses ont commencé à se produire. D’abord, les États-unis sont devenus beaucoup plus faibles, ils se sont impliqués dans diverses guerres et leur crédibilité s’en est ressentie. Et en 2007 il y a eu l’effondrement économique, ce crash dont nous ne nous sommes toujours pas remis, dont nul ne s’est remis. Ces choses se sont produites.

Et aujourd’hui la Chine est devenue une source de financement importante, parce qu’elle a à sa disposition des réserves en devises étrangères de plus de 3.9 trillions de dollars. L’Inde a entre 350 et 360 milliards de réserve de devises et la Russie plus de 400 milliards. Donc, après cela, les BRICS, ou plutôt, je pense, les Chinois initièrent ce nouvel ordre monétaire, et la Russie et les dirigeants indiens ont réalisé que le temps d’agir était venu.

Et je pense que nous sommes maintenant dans une conjecture très favorable. C’est un moment très favorable pour le développement du monde. Tout ce qu’il faut c’est que ces trois pays, plus les Brésiliens et les Sud-Africains aillent de l’avant. Aucun d’entre eux ne peut se développer de façon isolée. Le Brésil représente seulement un pays de l’énorme sous-continent qu’est l’Ibéro-Amérique, un sous-continent qui a un très grand besoin de se développer.

L’Afrique quant à elle a été complètement dévastée par les puissances coloniales. Mais avec ces 5 pays, et avec les nombreux autres en Asie comme le Japon, la Corée du Sud et l’Indonésie, qui vont sans doute aider et, si en plus, l’Occident s’y joint avec l’Europe, les États-Unis et le Canada, alors il est possible que dans la prochaine génération ou la génération suivante, peut-être dans 30 ans, on puisse voir un monde qui sera un monde que nous, M. LaRouche et son organisation, avons toujours espéré bâtir, et pour lequel nous avons travaillé. Alors c’est une occasion qui existe aujourd’hui.

Diriez-vous, Tanu, que, lorsque la crise financière a frappé en 2007, la Chine et peut-être certains autres de ces pays ont décidé qu’ils ne feraient pas ce qu’avaient fait l’Europe et les États-unis avec leur assouplissement quantitatif (« Quantitative easing » en anglais), ce sauvetage massif opéré par les gouvernements de la mauvaise dette spéculative des banques « trop importantes pour faire faillite » ?

En 2007, la Chine s’était déjà développée– elle avait développé ses réserves en devises et sa capacité manufacturière- au point où elle ne se sentait pas directement menacée. Elle n’avait pas pillé l’économie réelle ni créé le genre de fausse monnaie qu’avaient créé les gens des nations les plus riches. Or ce sont ces politiques qui sont responsables de la crise financière.

Et la Chine ne pensait pas seulement à se protéger de l’effondrement. La Chine a vu que c’était le moment où jamais d’aller de l’avant et de développer la région. La Chine pouvait mobiliser ses réserves en devises tout en continuant de se développer. Car la Chine a encore besoin de se développer. Et en 2007-2008, les Chinois avaient pleinement conscience de cela. « Nous devons nous développer. Et c’est possible, dans la mesure où nous suivons le principe économique de base tel qu’adopté par les Américains au 19ième et 20ième siècle sous Abraham Lincoln et Franklin D. Roosevelt. » Ils savaient que rien d’autre ne pouvait protéger une économie. Cela ils l’avaient compris, comme les Japonais après la deuxième guerre mondiale. Les Japonais comprenaient la même chose. Mais depuis ils ont oublié. Mais, à mon avis, la compréhension de cette idée est la semence qui s’est développée en l’arbre (les BRICS) que nous voyons aujourd’hui.

Cela signifie donc que le changement essentiel nécessaire aux États-Unis, en Europe et au Canada doit commencer avec la loi Glass-Steagall qui séparerait les banques en banques d’investissement (non protégées par les gouvernements) et en banques commerciales. Cette loi ferait simplement disparaître toutes ces dettes spéculatives qui n’ont aucune valeur. Alors nous pourrions réellement collaborer avec les BRICS.

Absolument ! C’est ce qu’a fait Franklin D. Roosevelt, et cela a permis la reconstruction des États-Unis qui sont devenus une puissance extraordinaire dans les 30 ou 35 années qui ont suivies. Je vais vous dire quelque chose que la plupart des Américains ne mentionnent pas. Entre 1955 et 1978, approximativement, si on prend ces 23 années aux États-unis, on voit des choses fascinantes. Et on se demande comment ces choses-là se sont produites. Cela provient de la loi Glass-Steagall de Roosevelt qui permettait aux banques d’investir dans la véritable économie physique. Dans ces 23 années, les États-Unis ont construit 90 centrales nucléaires.

Dans les 40 années suivantes, depuis 1978, ils n’en ont construit que 10 autres à peu près. Lancé sous Eisenhower, tout le système d’autoroutes a été construit en une douzaine d’années entre 1955 et 1967. Il y a aussi le programme spatial qui a commencé à cette époque pratiquement à partir de rien. Et les Américains ont atterri sur la Lune en 1969. Si vous considérez cette période, ce sont tous des fruits de l’arbre basé sur l’idée de programme d’infrastructures. Les infrastructures étaient superbes à ce moment-là. Mais nous avons abandonné tout cela et maintenant tout est en train de s’effondrer. Le moment est venu pour l’Occident de rebâtir tout cela.

D’une certaine façon, les conditions sont meilleures maintenant. Dans les années 50 et 60, la Russie, la Chine et l’Inde, ne pouvaient pas contribuer à cette entreprise d’une façon significative, mais aujourd’hui ils le peuvent. Et vous regardez la partie du monde qui est sous-développée et le reste du monde, c’est-à-dire la Russie, la Chine, et l’Inde qui sont contigües, et vous regardez l’Asie, l’Asie Centrale, l’Eurasie jusqu’au Proche Orient. C’est donc une merveilleuse opportunité, en autant que je puisse voir, dans la mesure où nous et les autres réussissont à faire que les dirigeants occidentaux comprennent ce qui est en jeu. C’est le problème auquel il faut s’attaquer.

Combien de temps est-ce que cela prendra Tanu ? Parle-t-on de 3 à 5 ans, ou parle-t-on davantage d’une perspective générationnelle beaucoup plus longue ?

Il est très difficile de prévoir ce genre de choses. Ce qui est important dans tout cela c’est de faire que l’élan dans cette direction se poursuive. Si on s’y mettait sérieusement en mobilisant les moyens nécessaires et en comprenant pleinement que c’est ce qui doit être fait pour pouvoir créer un avenir meilleur, alors le temps nécessaire pourrait être ramené à 25 ou 30 ans. Mais bien avant que ces 25 années se soient écoulés beaucoup de choses commenceront à se développer. Et des millions et des millions de gens, et peut-être même des milliards, vont commencer à récolter le bénéfice de ces développements. Pour pouvoir faire ce développement partout, cela prendra 25-30 ans, Cela devrait être le minimum. Mais dès les 4 ou 5 premières années, nous commencerons à voir des effets bénéfiques qui se feront sentir pour des millions et des millions de personnes. Et c’est quelque chose qui n’a pas vraiment de fin mais qui a un commencement. Le processus de développement aura des effets plus grands qu’il ne paraît.

Il y a quelques années, Lyndon H. LaRouche a souligné l’ironie de voir que l’anniversaire de naissance de Franklin Delano Roosevelt ait été célébré davantage en Russie qu’aux États-Unis. Je suppose que cela indique que, contrairement à ce que les États-Unis et l’Europe ont fait depuis les présidences de Roosevelt et Kennedy, les Russes s’intéressent davantage au besoin de maintenir la croissance de l’économie physique. Dirais-tu, que de nos jours, les Chinois et les Indiens voient de la même façon les idées de Franklin Roosevelt ?

Pas si vous pensez en termes de nom. Mais, ils ont pris bonne note du développement infrastructurel des États-Unis et des succès que ce pays a connus entre les années 40 et les années 60. Ils savent que ce sont là les exemples à suivre. C’est ce dont ils ont besoin. Vous devez développer votre infrastructure. Et l’Asie a été une des pires victimes de la colonisation. Pas la pire. L’Afrique a été la pire. Mais l’Asie a été vicieusement brutalisée par la colonisation des pays européens et durant cette longue colonisation, les infrastructures n’ont pas été développées. Leur crainte a toujours été : l’infrastructure signifie le développement, et le développement signifie que ces communautés vont nous chasser des colonies. Alors ils ont maintenu le développement d’infrastructure au minimum, juste ce qu’il fallait pour leurs mouvements militaires et pour le transport vers les ports des minéraux et des réserves qu’ils pillaient. Mais essentiellement, pratiquement tous les pays contigües de l’Asie ont été isolés les uns des autres. Il n’y a pas eu d’intégration. Si vous regardez les nations du sud-est asiatique, Myanmar, la Thaïlande au sud de Myanmar, et au sud de la Thaïlande la Malaisie. Puis à l’est de la Thaïlande se trouvent le Cambodge, le Laos et le Vietnam. Mais vous ne trouverez pas un seul chemin de fer qui connecte ces pays les uns aux autres. Chacun a été maintenu en une entité isolée par une puissance coloniale ou l’autre. La même chose a été faite pour l’Inde. Il n’y a pas de connexion entre l’Inde et l’Afghanistan. Cela n’a jamais été construit.

Il n’y avait pas de connexion entre l’Afghanistan et tout ce qu’il y a jusqu’au Kazakhstan, en Asie centrale- c’est-à-dire à travers le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, le Kyrgysistan, et la Russie. Cela n’existait pas ! Les Soviétiques ont fait beaucoup en Asie Centrale, en termes d’infrastructure.

Mais je dirais que les Asiatiques ont compris que l’infrastructure est la clé du développement économique et, à mon avis, ils l’ont compris, à travers des économistes du Système américain d’économie comme Alexandre Hamilton, Erasmus Peshine Smith, et les Carey (Henry et Matthew) père et fils. Et ce sont là les grands économistes américains qui, bien sûr, ont aussi été les sources d’inspiration pour Abraham Lincoln et pour Franklin D. Roosevelt.

Alors si vous parlez à ces gens, ils vous diront qu’ils comprennent que la tradition américaine de développer les infrastructures doit s’appliquer à l’Asie et aussi à l’Eurasie. Ils n’accoleront peut-être pas le nom de Roosevelt à cela, mais tous reconnaissent que Roosevelt était un grand leader.

Les centrales nucléaires dans le monde . Août 2005

Pouvez-vous décrire quelques-uns des projets physiques qui sont présentement en cours en Inde, en Chine et en Russie ? Je sais que vous avez dit auparavant que nulle nation n’avait sérieusement considéré la question de la production d’énergie du point de vue de faire de l’énergie nucléaire le coeur de l’économie. Est-ce que cette nouvelle collaboration entre nations permettra de résoudre ce problème ?

Eh bien pour l’instant je ne vois aucun pays qui se soit complètement engagé à faire de l’énergie nucléaire leur seule source de production électrique. Mais il y a un autre élément à considérer. 400 millions de personnes en Inde sont sans électricité. Je crois que c’est aussi le cas de 100 millions de personnes en Chine. Et lorsque vous vous mettez à la place d’un dirigeant bien intentionné et que vous considérez les besoins de votre population, votre premier objectif sera de chercher par tous les moyens à procurer très rapidement de l’électricité à ces gens. Maintenant lorsque vous êtres pris dans ce piège – et on peut appeler cela un piège- alors vous prenez tout ce sur quoi vous pouvez mettre la main pour résoudre le problème. Quel est le moyen le plus facile que vous ayez pour y parvenir ? Il y a bien sûr l’énergie hydro-électrique ; il y a aussi les centrales électriques à base de charbon. Le charbon est une source d’énergie depuis plus de 200 ans et il existe un grand nombre de compagnies qui peuvent produire les chaudières et les fournaises nécessaires. Donc le charbon est toujours disponible et le charbon n’est pas considéré comme un matériel stratégique. C’est un matériel stratégique, mais pas de la même façon que l’uranium. L’uranium est considéré comme un matériel dangereux en raison de sa capacité destructrice, lorsqu’il est mal utilisé.

Donc, à ce point-ci, les choix que la Chine ne sont pas très nombreux. Sa source principale d’énergie est le charbon. Il y a eu une époque, voilà quelques années, où les Chinois installaient en moyenne à chaque semaine une centrale au charbon pour une capacité de 500 mégawatts environ. 52 centrales par année.

Donc les Indiens et les Chinois et n’importe qui – en fait pratiquement tout le monde – n’ayant pas la capacité de construire de nombreuses centrales nucléaires se dirigent vers le charbon. Mais ils doivent aussi réaliser, et certains le comprennent maintenant, que le charbon n’est pas une source d’énergie renouvelable. Et un jour, vous manquerez de charbon et cela aura des conséquences très dangereuses. De plus, cela pollue. Cela crée une immense quantité de cendres volantes qui sont hautement toxiques et qui endommagent la terre et aussi l’eau. Donc plus vite on se débarrassera du charbon et mieux on sera. Et cela est compris.

Mais l’autre option est de choisir le nucléaire. Et c’est ce qu’ils veulent. Mais cela implique le développement d’une importante infrastructure pour générer suffisamment de réacteurs nucléaires pour pouvoir satisfaire la demande croissante en électricité. A ce moment, mes travaux montrent que le monde peut à peine produire 30 réacteurs par année. Trente réacteurs, cela signifie environ 30 000 mégawatts. La Chine à elle seule a besoin de 30 000 nouveaux mégawatts de capacité électrique par année. Il y a donc un énorme manque en ce qui concerne la fabrication de réacteurs. Parce que les écologistes, les verts et d’autres mouvements du même type, ont pris le nucléaire comme cible de leur programme anti-développement et parce qu’ils ont étiqueté l’énergie nucléaire comme dangereuse, ils se sont ainsi trouvés à créer une situation où plusieurs compagnies ont abandonné la fabrication de réacteurs nucléaires. C’est pourquoi on ne peut présentement construire plus de 30 réacteurs par année.

Aujourd’hui, d’après mes calculs, le monde a besoin de produire entre 200 et 250 réacteurs par année. Et une telle quantité peut seulement être fabriquée par les grandes nations. On ne peut pas s’attendre à ce que les petites nations puissent augmenter leur capacités d’ingénierie et de fabrication, ni développer leur secteur de ressources naturelles ou éduquer leur main-d’œuvre de façon à être capable de produire une quantité significative de réacteurs. L’Inde, la Chine, la Russie, les États-Unis, le Brésil, l’Afrique du Sud et le Canada ont déjà de sérieuses capacités d’ingénierie et leurs capacités manufacturières ainsi que la qualification de leur main d’œuvre sont aussi excellentes. Ils devraient s’arranger pour produire entre 30 et 40 réacteurs chacun. Lorsque je verrai cela, alors je dirai, d’accord, maintenant ces pays ont réellement décidé de faire de l’énergie nucléaire la seule source de production d’électricité. Parce qu’il n’y aura rien d’autre de disponible, à part la fission nucléaire ou, plus tard, la fusion nucléaire lorsqu’elle viendra à exister. La fission nucléaire requiert un certain nombre de choses, mais tout ce qu’elle produit peut être recyclé et réutilisé. Donc d’une certaine façon c’est une source d’énergie complètement renouvelable. Mais ce moment n’est pas encore arrivé.

Cependant, comme je l’ai dit, j’ai qualifié cela en disant qu’en raison des besoins électriques pressants de la population, il faut considérer ce qui est disponible et qui peut être utilisé pour produire de l’électricité. Et lorsque vous considérez cela, le charbon est un item utile. Et l’hydroélectricité aussi, quoiqu’elle ait des limitations. Elle peut seulement fonctionner avec un fleuve au fort courant. Le charbon quant à lui peut être utilisé pratiquement n’importe où.

Que diriez-vous aux Canadiens afin qu’ils puissent maximiser le potentiel qui serait généré par une alliance entre le Canada et les BRICS ?

Je dirais d’abord que la Chine et la Russie ont proposé de coopérer à un projet de tunnel ferroviaire sous le détroit de Béring qui rendrait possible le développement de l’Arctique. De plus, la Chine fait des choses étonnantes en ce qui a trait au transfert d’eau des portions sud du pays vers les portions arides du nord. La partie occidentale des États-Unis et le nord du Mexique sont dévastés par une sécheresse qui peut continuer encore plusieurs années, non pas en raison du réchauffement climatique, mais en raison de changements à long terme dans notre système solaire et dans la galaxie. Un projet de détournement d’eau encore plus grand que celui de la Chine, le NAWAPA (North American water and Power Alliance) a été conçu dans les années 50 et 60 pour résoudre ce problème, entre autres, mais n’a jamais été construit.

Je pense que pour le Canada, la chose la plus importante à faire est d’aller de l’avant et de pousser les États-Unis à soutenir le projet NAWAPA. Ce projet de gestion des eaux permettrait aux États-Unis de se régénérer et de devenir le grenier à blé de la planète. Je veux dire qu’il y a plusieurs pays qui peuvent être les greniers à blé de la planète à condition d’avoir un apport d’énergie, d’eau de semences ou d’autres choses essentielles du même type.

Le deuxième domaine dans lequel le Canada a une énorme capacité est celle du secteur nucléaire. Le Canada est le pionnier dans la conception et la fabrication du CANDU-réacteur à l’eau lourde pressurisée (CANDU-PHWR), qui peut utiliser l’uranium naturel sans enrichissement. La capacité de ces réacteurs à l’eau lourde d’utiliser d’une façon plus efficace les stocks d’uranium disponibles -en réutilisant le combustible consommé par les réacteurs à eau pressurisée- et d’utiliser de façon plus efficace d’autres combustibles comme le plutonium et le thorium, est un élément important. De plus, puisque les réacteurs Candu-PHWR utilisent des tubes de force plutôt que des cuves sous pression qui ne peuvent être construits que par une poignée de pays possédant de grandes presses à forger, c’est une façon de surmonter un des principaux engorgements dans la construction de centrales à l’échelle mondiale.

Le réacteur avancé CANDU ACR-1000 est un réacteur de 3ième génération+, un réacteur CANDU de 1200 Mégawatts électrique, avec ravitaillement sans interruption et un modérateur à eau lourde, mais avec des nouvelles caractéristiques telles que le refroidissement à l’eau légère et l’uranium faiblement enrichi (1.5% U-235) pour un taux de combustion plus élevé,, une moins grande quantité d’eau lourde et un réacteur plus compact.

Le Canada possède 19 réacteurs CANDU qui sont opérationnels sur son territoire ; il a aussi conclu des accords de partage de technologie avec le Pakistan(1), l’Inde (2), la Corée du Sud (4), l’Argentine (1) et la Roumanie (2), en plus d’avoir directement exporté certains de ces réacteurs.

Le Canada est aussi le seul pays qui a une conception de réacteurs à eau lourde de grande capacité (plus de 1000 mégawatts), le réacteur avancé CANDU, ACR-1000 (figure 3). L’Inde est le seul autre pays à avoir sérieusement développé des réacteurs à eau lourde. A partir des deux réacteurs CANDU que l’Inde a obtenu du Canada, l’Inde a développé ses propres réacteurs à l’eau lourde. Ils ont présentement 18 réacteurs à eau lourde qui sont opérationnels et 4 autres sont en construction. Mais l’Inde n’a rien produit d’une capacité supérieure à 500 mégawatts.

Donc comme vous pouvez le voir, les réacteurs à eau lourde n’ont pas été adoptés aussi généralement que les réacteurs à eau légère jusqu’à maintenant. Plusieurs pays ne veulent pas les utiliser parce que l’eau lourde en soi constitue un secteur industriel différent. Vous devez produire l’eau lourde. Vous ne pouvez pas importer de l’eau lourde. La plupart des pays ne veulent pas se lancer là-dedans. Mais pour les pays les plus grands, ce n’est pas un gros problème de fabriquer de l’eau lourde. Et si cela doit devenir la source de production d’énergie, alors c’est une tâche relativement simple à accomplir.

Donc l’Inde va sans doute mettre beaucoup d’emphase sur les réacteurs à l’eau lourde. Le Canada, bien sûr, peut contribuer d’une façon très significative non seulement en produisant un grand nombre de ces réacteurs à l’eau lourde de grande capacité et en les exportant vers l’Inde ou la Chine et tout autre pays possédant une capacité de fabriquer de l’eau lourde, mais ils peuvent aussi contribuer en aidant l’Inde et la Chine en particulier, à faire des réacteurs à eau lourde de grande capacité.

Proposition de lignes ferroviaires à haute vitesse, couloirs de développement, dessalement de l’eau par le nucléaire le long des côtes.

C’est là une première chose.

La deuxième chose, c’est que le monde a besoin d’une énorme quantité d’usines de dessalement. Le dessalement dans les régions côtières résoudrait un grand nombre de problèmes que plusieurs de ces grands pays ont en raison du manque d’eau fraîche. Ils doivent détourner l’eau de fleuves qu’ils utilisent pour l’agriculture de façon à faire face à la demande commerciale et domestique. Dans les régions côtières, au lieu de faire cela, le dessalement peut régler le problème. Mais pour le dessalement, il n’est pas nécessaire d’avoir d’énormes réacteurs. De petits réacteurs suffisent.

Vous pouvez les regroupez au même endroit. Vous pouvez faire des réacteurs de 50 mégawatts et en ajouter avec le temps (8 ou 10 ou 12 ou 20) en fonction de la demande générée par l’augmentation de la population et de l’activité. Pour l’instant, nul ne fabriquera ces réacteurs de 50 ou 75 mégawatts parce que la tendance que je remarque en Inde et en Chine est de s’attaquer à la demande pour la consommation d’électricité à grande échelle. Ils se tourneront donc vers les grands réacteurs. Et entretemps, le processus de dessalement, qui est presqu’aussi important que le processus de production d’énergie restera en grande partie négligé. Le Canada pourrait y jouer un rôle important en créant, comme pour les autos, une chaîne de montage pour créer des réacteurs à l’eau lourde de 50 ou 75 mégawatts ou même de 100 mégawatts, qui n’utilisent pas beaucoup d’eau lourde.

A mon avis, l’Inde, le Pakistan et la Chine auront besoin d’entre 500 et 1000 de ces réacteurs pour des usines de dessalement dans les régions côtières. Ces pays ont de vastes littoraux. Je pense que c’est là une tâche que le Canada peut parfaitement accomplir. Il possède toutes les technologies nécessaires. Et il pourrait y récolter de grands profits tout en se réjouissant d’avoir accompli une noble mission.

Je pense que cela donne une bonne idée de ce que les Canadiens doivent faire. Merci beaucoup Tanu.