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La balkanisation, tentative de prolonger l’empire financier

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S&P—Les référendums pour l’indépendance en Catalogne et au Kurdistan irakien (qui s’est tenu lundi) doivent être considérés dans le contexte de la victoire militaire imminente du gouvernement Assad en Syrie ainsi que des Nouvelles Routes de la soie de la Chine, lesquelles apparaissent de plus en plus comme la seule alternative viable aux yeux de certains dirigeants européens, au lieu d’une austérité antisociale sans fin.

Le 6 septembre, les séparatistes du Parlement catalan ont obtenu le vote de deux lois, malgré une forte opposition : l’une établissant au 1er octobre la tenue d’un référendum pour l’indépendance de la région, et l’autre proclamant qu’en cas d’un oui majoritaire, l’indépendance sera déclarée dans les 48 heures, quel que soit le niveau de participation. La Cour suprême espagnole a immédiatement jugé le référendum inconstitutionnel, et le gouvernement a pris des mesures pour en empêcher la tenue, saisissant les bulletins de vote, arrêtant les 14 hauts responsables catalans à l’origine de cette initiative et mettant la police régionale sous les ordres de la police nationale. Plusieurs milliers de membres de la garde civile ont été positionnés dans les ports de Barcelone et de Tarragone.

Si les séparatistes parviennent à leurs fins, le gouvernement espagnol n’aura d’autre choix que d’intervenir en vertu de l’article 155 de la constitution pour suspendre l’autonomie (l’actuel statut de la Catalogne), ce qui risque d’aboutir à une confrontation sanglante dans les rues.

Les Britanniques ne ratant aucune occasion pour déstabiliser le continent, le Guardian de Londres a accordé jeudi dernier une large tribune au Président de la Catalogne Carles Puigdemont, lui permettant de lancer un appel aux Européens et à la communauté internationale «  à se tenir aux côtés de la Catalogne dans son combat pour la démocratie et pour les vraies valeurs européennes », car « les citoyens catalans sont pacifiques, européens et ouverts d’esprit ». Le même jour, un groupe de Lords et de députés britanniques a publié une lettre de soutien aux séparatistes, et plusieurs articles sont parus dans la presse britannique, au Sunday Times, The Independent, etc, comparant le Premier ministre Rajoy avec le dictateur Franco. Mariano Rajoy, qui était si parfait quand il se contentait d’appliquer docilement l’austérité et le libéralisme de la Commission de Bruxelles...

Comme dirait l’autre : si la grande presse britannique est dans le coup, c’est qu’il y a un loup !

Morceler pour mieux contrôler

Dans cette histoire, il est nécessaire de ne pas se laisser envoûter par le chant des sirènes de la « démocratie » et du « droit à l’autodétermination des peuples », et de se poser la question suivante : alors que le ferment en Catalogne se nourrit principalement du ressentiment contre les conditions économiques suicidaires imposées par l’Union Européenne, n’est-il pas étrange que les séparatistes veuillent quitter l’Espagne tout en pensant trouver refuge dans cette même UE ? Comme si un condamné parvenait à se débarrasser de son bourreau et se précipitait ensuite dans les bras de l’inquisiteur...

Il s’agit en réalité d’une politique intentionnelle de balkanisation des nations, à l’heure où ces institutions sont les seules à avoir la capacité et la légitimité pour prendre les mesures nécessaires visant à protéger les populations contre les effets du capitalisme financier criminel. Cette stratégie correspond au bon vieux « divide and conquer » de l’Empire britannique appliqué systématiquement au 19e et au 20e siècles afin de mettre à sa botte des régions et de pays entiers. Les néoconservateurs, emmenés par les idéologues Bernard Lewis et Zbigniew Brzezinski, ont suivi à la lettre cette géopolitique dans les quarante dernières années, en instrumentalisant les minorités religieuses et ethniques tel que les Kurdes afin de déstabiliser le Moyen-orient.

La balkanisation de l’Europe a quant à elle été théorisée par un certain Léopold Kohr dans son livre « La désunion maintenant : un plaidoyer pour une société basée sur de petites unités autonomes » publié en 1941 ; comme Karel Vereycken l’a montré dans son article « Régionalisme : l’Europe de Léopold Kohr, projet d’un fascisme universel », l’idée de Kohr a été pleinement adoptée par l’Union Européenne : désintégrer les États-nations en une myriade de petits États intégrés dans un grand ensemble européen, le morcellement social et politique en bas permettant de perpétuer la concentration de la finance en haut.

Mais la réalité est que la situation échappe de plus en plus au contrôle des dieux de l’Olympe de la mondialisation financière : la stratégie de changement de régime en Syrie est un échec complet, la reconstruction économique du pays étant prête à se mettre rapidement en route dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie ; l’Union Européenne ressemble de plus en plus à la nef des fous se dirigeant tout droit vers les récifs – en dépit de l’agitation européiste d’Emmanuel Macron – et plusieurs pays d’Europe de l’est comme la Roumanie, la Hongrie, la Grèce, mais également l’Italie, l’Espagne et le Portugal, se tournent de plus en plus vers l’initiative de « la Ceinture et la Route » proposées par la Chine.