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Équilibre stratégique : l’État de l’Union de Poutine provoque un « effet Spoutnik » à l’Ouest

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S&P—L’adresse à la nation du président russe Vladimir Poutine devant les deux chambres du Parlement russe réunies en congrès jeudi dernier, sur les nouveaux types d’armes développés par la Russie, a pris par surprise l’ensemble des élites occidentales. La Russie a notamment développé une installation nucléaire miniaturisée capable de propulser un missile de croisière en le rendant quasi invulnérable.

Nombre d’analystes, de journalistes et de commentateurs ont réagi comme avaient réagi leurs aïeuls lorsque les Soviétiques avaient réussi à mettre en orbite le premier satellite, en 1957 : dénis, incrédulité, et indifférence feinte.

Par ailleurs, les Occidentaux n’ont pas manqué de dénoncer « l’escalade militariste » ou la « nouvelle course à l’armement » lancée par le président russe. Or, comme le fait remarquer le général Jean-Bernard Pinatel dans une tribune publiée le 3 mars dans Le Figaro, ces accusations « montrent surtout une ignorance totale des fondements de la stabilité stratégique mondiale qui ont permis d’éviter une guerre majeure depuis 70 ans entre puissances nucléaires. En effet, s’il y a un aspect militariste, offensif et déstabilisant, il faut le chercher dans la nouvelle doctrine de sécurité nationale américaine présentée par Trump mi-décembre 2017 à laquelle s’ajoute l’augmentation phénoménale du budget militaire des États-Unis annoncée pour 2018 (+ 100 milliards en 2018, deux fois le budget des armées françaises). En décidant, d’une part, de déployer un bouclier anti-missile en Europe et en Corée du Sud et d’autre part, en annonçant la miniaturisation de l’arme nucléaire en vue de son emploi tactique, Trump a ouvert des brèches béantes dans la stabilité stratégique mondiale ».

Il faudrait ajouter à cela que Trump, mis sous pression par les forces néoconservatrices anglo-américaines, n’a fait que prolonger la doctrine militaire appliquée au cours des mandats de Bush et d’Obama, consistant à étendre les déploiements de l’OTAN vers l’Est jusqu’aux frontières de la Russie, contrairement aux engagements pris après l’effondrement de l’URSS.

Une course à la technologie, pas à l’armement

Dans son discours, Vladimir Poutine a rappelé que la Russie a constamment cherché à trouver un terrain d’entente avec les États-Unis, face aux déploiements de l’OTAN. « Nous développons ces nouveaux systèmes d’armes stratégiques russes en réponse au retrait des États-Unis d’Amérique du Traité sur les missiles antibalistiques [Traité ABM de 1972, dont les États-Unis se sont retirés en 2001] et au déploiement de leurs systèmes de défense anti-missiles aussi bien sur leur territoire qu’au-delà de leurs frontières ». Le discours de Poutine s’inscrit ainsi dans la continuité de sa main tendue à Munich, en 2007. «  Ils ne nous ont pas écouté alors », a-t-il regretté, tout en affirmant que « désormais ils nous écouteront ».

Le président russe a décrit le nouveau système de missiles intercontinentaux « Sarmat », remplaçant les systèmes Voevoda issus de l’URSS, et dont les caractéristiques sont tels qu’ils peuvent percer les systèmes de défense les plus élaborés. De plus, la Russie a commencé à développer un nouveau type d’armes stratégiques – appelés « Avangard » – qui ne suivent pas une trajectoire balistique (prévisible) mais alléatoire. Ces missiles évoluent à des vitesses hypersoniques – c’est-à-dire jusqu’à 20 fois la vitesse du son (Mach 20) —, et sont donc quatre fois plus rapide que les missiles de défense américains déployés en Europe ; leurs nouveaux matériaux composites les rendent capables de réaliser un vol guidé de très longue portée, pratiquement dans des conditions de formation de plasma. « Ils volent vers leur cible comme une météorite, comme une boule de feu, » a expliqué Poutine. « La température à leur surface atteint 16 millions de degrés Celsius tout en restant parfaitement manœuvrable ». Par ailleurs, la Russie dispose désormais de mini-sous-marins automates, véritables drones capables d’évoluer à des profondeurs extrêmes, et à des vitesses dépassant plusieurs fois celle des sous-marins existants.

D’office, les systèmes de défense déployés par les Américains sont de facto rendus obsolètes. La stratégie de « première frappe », qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui dans les conceptions américaines, est littéralement à terre. Par cette annonce, la Russie court-circuite la doctrine des néocons, qui s’appuyait sur une perception de la supériorité américaine face à une Russie amoindrie. Elle montre qu’elle dispose des capacités technologiques lui permettant de faire face à n’importe quelle menace venant de l’Ouest. Enfin, et c’est sans doute le plus important, il s’agit d’une véritable révolution technologique, dans le sens où elle met en œuvre de nouveaux principes physiques qui, comme l’a dit Poutine, auront des retombées dans le domaine civil.

L’Empire en échec

Les responsables officiels américains ont immédiatement tenté de minimiser la chose. « Le président Poutine a confirmé ce que le gouvernement américain savait depuis longtemps », a déclaré la porte-parole du département d’État, Hearther Nauert. De même, la porte-parole du Pentagone, Dana White, a affirmé que « ces armes sont en développement depuis très longtemps. Nous ne sommes pas surpris par cette déclaration et les Américains peuvent être sûrs que nous sommes pleinement préparés ».

Mais dans cette course à la technologie, les États-Unis apparaissent désormais à la traîne. Les dépenses américaines dans le domaine des armes hypersoniques sont largement insuffisantes, comme l’admet Steven Walker, le directeur de la Defense Advanced Research Projects Agency du Pentagone. « Si vous regardez certains de nos compétiteurs, y compris la Chine, le nombre d’infrastructures mises en place pour développer ces armes hypersoniques surpasse ce que nous faisons ici… de deux ou trois fois », a-t-il expliqué à des journalistes. De son côté, Gary Pennett, le directeur des opérations à la Missile Defence Agency, estime que le développement par la Russie de ces armes hypersoniques met en lumière le fossé technologique par rapport aux capacités de capteurs et d’intercepteurs de missiles des États-Unis.

En réalité, les États-Unis paient les choix politiques qu’ils ont fait depuis une vingtaine d’années, sous l’influence du libéralisme économique, qui les ont conduit à sous-traiter de nombreux secteurs de pointe par le privé – aéronautique, spatial, armement, etc. –, et ils se retrouvent aujourd’hui piégés par le plafond technologique intrinsèquement lié à la logique de rentabilité financière du privé.

L’auteur Paul Craig Roberts, ancien responsable de l’administration Reagan, écrit qu’il est clair désormais que « la Russie a une grande supériorité nucléaire sur les États-Unis et sur leurs pathétiques vassaux de l’OTAN. Au regard des capacités russes, il n’est plus tout à fait évident que l’on puisse qualifier les États-Unis de superpuissance...  » Le site The Saker fait remarquer que les révélations sur les nouveaux systèmes d’armes russes ont des « implications sensationnelles, véritablement tectoniques ». En réalité, c’est « Jeu, set et match pour l’Empire : il n’y a plus d’option militaire contre la Russie ».