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Sergueï Lavrov rend honneur à Charles de Gaulle

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Par Christine Bierre

S&P—Le nom de Charles De Gaulle, dont nous célébrons le 130e anniversaire cette année, est totalement lié à l’alliance France-Union soviétique qui, durant la seconde guerre mondiale, a contribué à la défaite du Nazisme, écrit Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires Etrangères. De Gaulle a été aussi l’inspirateur du projet de Grande Europe avec la Russie. Au nom de ce passé, Lavrov appelle Emmanuel Macron à passer aujourd’hui des discours raisonnables aux mesures pratiques en coopérant notamment avec l’Union économique eurasiatique et avec la Nouvelle Route de la soie.


Voici le texte publié par Sergueï Lavrov, le 13 juin, sur le site du ministère des Affaires étrangères :

Cette année, les Français célèbrent une date importante de leur histoire, le 130e anniversaire de la naissance de Charles de Gaulle.

Pour nous autres Russes, le nom du général français est inséparablement lié à notre victoire commune dans la Seconde Guerre mondiale, dont nous célébrons le 75e anniversaire cette année. Car c’est bien Charles de Gaulle en personne qui, en juin 1940, appela les Français à la lutte contre le fascisme, pour la liberté et l’indépendance nationale de leur pays.

Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas, clama-t-il.

Ainsi, c’est en grande partie grâce à ses efforts que la France entra dans la coalition anti-hitlérienne et en devint membre actif.

La France Libre et l’Union soviétique

Ce fut aussi le Général qui, dès juillet 1941, lança les débuts de la coopération entre la « France libre » et l’Union soviétique, au nom de la lutte contre l’ennemi commun. À son tour, Moscou fut parmi les premiers à reconnaître le « Comité national français » créé par Charles de Gaulle à l’étranger.

Aujourd’hui, nous gardons précieusement la mémoire de la fraternité d’armes russo-françaises datant de cette guerre et nous nous souvenons de l’exploit des chasseurs de l’escadrille Normandie-Niemenqui, pilotant des avions soviétiques, se battirent contre les nazis sur le front de l’Est. Nous en sommes reconnaissants à la France, comme nous le sommes de perpétuer la mémoire de nos compatriotes qui rejoignirent durant cette guerre les rangs de la Résistance française.

Charles de Gaulle fut toujours un partisan convaincu des relations mutuellement respectueuses entre nos deux États, dont il devint plus tard architecte. En 1944, il entreprit un long voyage en passant par Téhéran et Bakou pour rejoindre l’Union soviétique. Son espoir d’obtenir le soutien de l’URSS se réalisa sous la forme du « Traité d’alliance et d’assistance mutuelle » entre la France et l’Union soviétique, signé le 10 décembre 1944 pour vingt ans. Le ministre des Affaires étrangères britannique de l’époque, Anthony Eden, a très bien saisi l’importance de ce document historique, en affirmant :

« Le rétablissement de l’amitié franco-russe, élevée au rang de politique d’État, signifie en fait le retour de la grandeur nationale de la France et de la Russie. »

Les dirigeants soviétiques furent aussi prophétiques dans leur vision de ce document : « Au nom des générations futures, il faut absolument écarter toute tentative de détruire notre alliance qui se forme. » Néanmoins, avec la démission de Charles de Gaulle en 1946 et le début de la Guerre froide, le potentiel du Traité n’a pu être réalisé.

Relations fortes après 1958

Cependant, de retour sur l’avant-scène politique française, en 1958, le général renoue le fil de relations fortes avec l’Union soviétique, car il y voit non seulement le gage de prospérité des deux peuples, mais aussi un facteur majeur de la détente des tensions internationales et de la stabilité régionale et globale.

Charles de Gaulle est à l’origine de l’idée d’une « Grande Europe » de l’Atlantique à l’Oural, une Europe en paix, sans ligne de partage ni d’affrontement entre les blocs. En 1966, il entreprend sa visite historique en URSS (voir image), qui donne une puissante impulsion au développement de la coopération bilatérale dans tous les domaines, y compris la politique, l’économie, la culture et l’exploration de l’espace. Lors de cette visite, il parla beaucoup de l’importance d’une entente et d’une coopération « dans toute l’Europe, qui devrait assurer elle-même sa sécurité ». Son rêve le plus cher était que « notre vieux continent puisse mettre fin à ses divisions et, une fois uni, reprendre le rôle qui fut toujours le sien, celui d’assurer la stabilité, le progrès et la paix dans le monde ».

La fin de l’affrontement bipolaire, survenue au seuil des années 80-90 du siècle dernier, fut, sans aucune exagération, une occasion historique de mettre en œuvre ces nobles idées du Général. La Russie, pour sa part, a fait le maximum pour que l’Europe, qui a survécu à deux guerres mondiales, puis à la « guerre froide », puisse s’engager enfin sur la voie du bien-être, de la coopération mutuellement avantageuse et du développement pacifique et durable pour le bien de notre génération et des générations futures. Moscou s’est toujours prononcé pour renforcer le rôle fédérateur des institutions européennes comme l’OSCE. C’est bien la Russie qui proposa de conclure un « Traité pour la sécurité européenne » et d’œuvrer ensemble pour créer un espace commun de paix, de stabilité et de coopération économique et humanitaire de l’Atlantique au Pacifique.

L’Occident a malheureusement choisi la Guerre froide

" Hélas, dans la communauté occidentale, la ligne qui l’a emportée est celle de ceux qui, s’attribuant le droit de décider du sort de l’humanité, ont fait le choix myope du « NATO-centrisme », des jeux géopolitiques « à somme nulle » et de la logique « meneur-suiveur ».

Il suffit de se rappeler les bombardements de la Yougoslavie, l’élargissement de l’OTAN vers l’Est, en dépit des engagements pris, à l’époque, envers les dirigeants de l’Union soviétique, du soutien des nombreuses capitales européennes au coup d’État anticonstitutionnel en Ukraine et des sanctions unilatérales introduites par la suite contre la Russie.

Quel en est le résultat et où en sommes-nous aujourd’hui ? La région euro-atlantique fait face à une crise de confiance majeure. Une véritable Europe unie ne s’est toujours pas constituée. L’énorme potentiel de coopération entre la Russie et l’Union européenne stagne. Les milieux d’affaires européens, français compris, essuient des pertes financières. Je suis certain que ce scénario est très loin de la vision gaullienne, car le Général était parfaitement conscient de la nature stérile et contre-productive d’une « Europe sans la Russie ».

En même temps, nous sommes persuadés que la possibilité de concevoir une nouvelle architecture de paix et de stabilité sur notre continent commun n’est toujours pas révolue. La solution la plus simple et la plus efficace à ce problème, à l’heure actuelle, serait la jonction des potentiels de différents projets intégrateurs, en cours de réalisation dans l’espace eurasiatique de Lisbonne à Jakarta. C’était notamment le sens de l’initiative du président Vladimir Poutine, lorsqu’il parlait du « Grand partenariat eurasiatique », un vaste espace d’innovation, tenant compte des intérêts de tous les États sans exception, qu’ils soient ou non membres des différentes structures multilatérales.

D’ailleurs, cette idée commence déjà à prendre forme à travers la jonction entre l’Union économique eurasiatique et l’initiative chinoise de « la Nouvelle Route de la soie », également connue comme « une Ceinture et une Route ».

Je crois que les partenaires européens auront tout à gagner à se joindre à l’effort des autres. Ce travail commun pourrait non seulement rendre nos économies plus concurrentielles, mais serait aussi la première pierre du fondement d’un système de sécurité égale et indivisible pour tous sur notre continent.

La réalité des relations internationales qui se traduit par la formation continue d’une nouvelle architecture universelle, une architecture multipolaire, plus juste et plus démocratique à la fois, exige une certaine clairvoyance politique et le rejet de la philosophie de dominance globale, des « cordons sanitaires » et autres « rideaux de fer ». Notre maison européenne commune a besoin de travaux. Si nous voulons que ses habitants puissent vivre dans la paix et la prospérité, que leur sécurité ne dépende pas de préjugés géopolitiques douteux, soufflés d’outre-Atlantique, c’est à nous tous de la construire ensemble. « Nous sommes convaincus qu’un vaste partenariat entre Moscou et Paris, qui partagent, en tant que membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, une responsabilité particulière pour la paix universelle, contribuerait à assainir la situation à l’échelle européenne et aussi planétaire ». À ce titre, nous ne pouvons que saluer l’initiative du président de la République, Emmanuel Macron, d’un système de sécurité européenne qui serait conçu non pas « contre », mais « avec » la Russie. Ce qui compte maintenant, c’est que les bonnes intentions et les discours raisonnables se traduisent enfin par des mesures pratiques, que la conscience politique évolue vers les principes du droit international et de la collégialité. La Russie, quant à elle, a toujours été et reste prête à une telle coopération à condition qu’elle soit honnête et se fasse sur un pied d’égalité.

Traduction de Nicolas Tikhobrazoff, pour le magazine Revue politique et parlementaire. (Sous-titres et surlignées ajoutés par notre rédaction).


La nouvelle visio-conférence, "Prospérer ou périr", organisée par l’Institut Schiller le samedi 27 juin, abordera notamment ces questions. Elle dessinera les pistes de ce qui sera nécessairement un changement de paradigme. (Inscriptions sur le site de l’Institut Schiller).