News / Brèves
Back to previous selection / Retour à la sélection précédente

Campagne présidentielle française
Intervention de Jacques Cheminade chez les Jeunes Chercheurs à l’Institut Pasteur

Printable version / Version imprimable

Le 17 février 2012 à l’Institut Pasteur, les Jeunes Chercheurs ont invité tous les candidats présidentiels pour les tester sur leur vision pour la recherche et l’enseignement supérieur.

L’intervention de Jacques Cheminade a été suivie d’un débat avec les quelques 300 jeunes chercheurs présents. Voici la transcription du discours :



Je vous remercie pour cette invitation, je remercie tous les jeunes chercheurs de me donner l’occasion de parler d’un sujet qui me tient particulièrement à coeur.

Faute de traiter les questions essentielles pour notre avenir, cette élection présidentielle se déroule le plus souvent sur un fond de questions concernant la dette, l’emploi, les valeurs, comme s’il s’agissait d’autant de choses en soi. On y parle de coûts des mesures, plus que de bénéfices qu’il faut en espérer, plus de questions émotionnelles que de visions ou de projets, c’est-à-dire que l’approche générale n’est pas scientifique, la science se définissant comme une dynamique mais se trouve encalminée dans le court terme, et hors des réalités de notre époque.

Ma démarche est tout à fait différente. La recherche scientifique est la priorité absolue de mon projet, car notre avenir, celui du bien commun et des générations futures, dépend de la découvert de principes scientifiques nouveaux, qui peuvent être socialisés, et appliqués sous forme de technologies permettant de produire davantage par être humain et par unité de surface, en élevant au rang de ressources ce qui n’était auparavant que des objets passifs de la nature. La science doit ainsi s’inscrire dans une vision d’ensemble à long terme de la société, dans un cadre global qui soit favorable à l’investissement pour l’avenir.

Cela suppose une éducation constante des facultés créatrices de l’être humain, apprendre sans se voir infliger des formules, mais en faisant revivre les efforts des principaux inventeurs, en remettant ses pas dans les leurs, en remettant les mains des enfants à la pâte comme le voulaient Georges Charpak et Marie Curie. Vladimir Vernadski, le grand savant russe, disait que l’homme est responsable de la noosphère, et que, étant responsable de la noosphère, il l’est aussi de la biosphère et de la ligosphère, du vivant et du non-vivant. Et c’est cette responsabilité qui pour moi définit la science.

Je voulais dire cela pour commencer car nous sommes au contraire dans une société du court terme, qui fait du chiffre, de l’immédiat, dans laquelle on renfloue avec des centaines de milliards des établissements financiers qui ont joué sur les marchés, où on ne prétend pas trouver les petits milliards, ou même, les millions, nécessaires aux étudiants et aux jeunes chercheurs.

Ainsi, au lieu de donner à la société les yeux du futur, on masque ses yeux pour qu’elle ne voie pas le mur contre lequel elle se dirige. La superstition de l’argent et la mystique de l’équilibre budgétaire, cette ridicule règle d’or, sont devenues dominantes dans une société de joueurs qui fait penser à celle de l’Ancien Régime, et je pense que nous sommes en 1788, toutes choses égales par ailleurs.

Il faut donc d’abord en sortir et sortir de ce dilemme. Pour cela, les banques d’affaires qui ont spéculé ne doivent plus être renflouées, comme le font la Banque Centrale Européenne et l’Union Européenne, mais elles doivent payer leurs propres dettes de jeu, et être mises en faillite si elles sont incapables de payer ces dettes.

Il faut arrêter de nourrir un cadavre financier, en imposant aux peuples, comme on le fait en Grèce (mais la Grèce n’est qu’un premier domino), l’austérité économique et le saccage social, et en démantelant du même coup la recherche.

Démanteler la recherche, car elle est par nature antagoniste du gain à court terme et du profit immédiat.

Rétablissons donc le penser long ! Pour le faire, il faut d’abord remettre l’économie physique au service de l’homme, grâce à un système de crédit productif organisé autour d’une banque nationale et d’une banque politique d’investissement public, regroupant en France Oséo, le Fond Stratégique d’Investissement, la Caisse des Dépôts, la BPCE et toutes ces institutions-là. L’économie doit redevenir une science appliquée et un véritable plaidoyer pour l’avenir. Tout ce qui entrave cette politique refondatrice doit être mis hors jeu.

C’est à partir de ce socle, et je pense qu’il est indispensable de commencer de cette façon pour que la réponse à vos questions puisse réellement avoir un sens.

Tout d’abord, le budget global de la recherche doit passer d’environ 2%, où il se trouve actuellement, pour arriver à 3%. Il faut arrêter la chute libre du budget des organismes de recherche, notamment celui du CNRS, dont la somme totale affectée à l’équipement et au fonctionnement de ses laboratoires n’atteint que le douzième de celle consentie par l’Etat en faveur du Crédit Impôt Recherche. En même temps, ce Crédit Impôt Recherche, il donne lieu à des abus, des effets d’aubaine pour les très grandes entreprises qui font de la fausse recherche, l’inclusion de frais ne correspondant pas à une recherche utile (quelques algorithmes mathématiques pour spéculer sur les marchés financiers, ça arrive). Tout cela doit être recentré. On doit intensifier les contrôles pour prévenir les fraudes, et éliminer les abus de droit qu’on peut constater, et moduler le taux de ce Crédit Impôt Recherche en fonction de la taille des entreprises, en favorisant le décollage des PME qui innovent.

Ensuite, dans ce contexte nouveau, il faut qu’on respecte le rôle social des doctorants et des postdoctorants, c’est-à-dire que notre société puisse être portée par votre travail, par le travail des jeunes chercheurs.

Un jeune doctorant, en France, c’est environ un salaire brut entre 1500 et 2000 euros, soit un peu moins que 1,5 fois le SMIC. Et un postdoctorant, qui correspond souvent à un bac+10 d’études supérieures, une thèse qui dure 3 ou 4 ans, en plus des séjours postdoctoraux, un salaire de 2000 à 2500 euros au maximum. Ce qui ne permet pas, évidemment, de louer un appartement dans Paris.

Je considère qu’une forte hausse d’au moins 30% du salaire des doctorants est nécessaire. En effet, en France, la somme qui est allouée est inférieure de 30% aux normes internationales. Et cela se ressent partout : dans les rémunérations, dans les conditions de travail, et aussi dans les moyens.

Le salaire des postdoctorants doit être, lui, accru encore d’un pourcentage supérieur, car non seulement il est bas, mais son écart avec celui des doctorants est faible, alors qu’en Suisse, au Canada, ou même ailleurs en Europe, le succès universitaire assure un avantage proportionnellement plus élevé.

Cet accroissement des salaires, accompagnant un effort budgétaire pour la recherche, une amélioration de la considération qu’on lui porte, de sa gestion, de sa coordination, permettra d’enrayer la fuite des cerveaux et d’attirer à nouveau les meilleurs parmi nous, de partout.

Cet accroissement des salaires permettra de mieux rémunérer les bons chercheurs et de leur donner des crédits suffisants, de les recruter massivement dans un vivier de jeunes qui aujourd’hui, pour beaucoup, n’ont pas de débouchés.

Concernant les dérives existantes, on ne peut pas considérer que la création d’un cadre juridique, le contrat doctoral 2009, soit suffisant, et suffise à les enrayer.

En effet, la baisse des moyens alloués à la recherche et la gestion court-termiste a accentué les dérives. Cette baisse des moyens met les jeunes chercheurs dans des situations de précarité où ils sont trop souvent contraints d’accepter ce qu’on leur propose. La formation des jeunes chercheurs est un investissement sur le long terme, et ne peut pas être soumise à une logique de court terme, ou aux humeurs, souvent, de certains mandarins un peu aigris.

Les écoles doctorales doivent être animées par l’idée de transversalité, et offrir des formations continues qui soient réellement diversifiées. Des formations complémentaires doivent être données aux doctorants, en évitant l’excès, évidemment, de spécialisation, ce qui est trop souvent le cas actuellement.

En même temps, l’accueil des doctorants étrangers doit être offert dans le cadre nouveau, comme mon projet le propose, dans lequel tous les chercheurs doivent être considérés comme les acteurs du développement de toute la société sur le long terme.

Une fois qu’un étudiant est admis dans une université française pour préparer sa thèse, ou au titre d’un contrat postdoctoral, il ne doit pas être exposé aux aléas des services d’immigration.

Je propose par ailleurs qu’il soit créé un nouveau Ministère du codéveloppement et de l’immigration, ce qui implique que l’immigration et le développement solidaire soient détachés du Ministère de l’Intérieur.

Les doctorants étrangers ne doivent pas être perçus comme des profiteurs d’un système, comme cela est impliqué trop souvent y compris par le Ministre, mais comme des acteurs de la coopération entre la France et les pays étrangers. Ils doivent être pourvus d’un titre de séjour qui, je le pense, doit être de 5 ans.

Co-développement signifie d’abord pouvoir circuler dans les deux sens, sans craindre des allers-retours qui peuvent se terminer en retour simple.

Le Ministère de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, avec celui de la coopération, du codéveloppement, et de l’immigration, doivent piloter la politique, le Ministère de l’Intérieur étant celui qui l’applique. Il est en même temps nécessaire d’arrêter de diminuer nos budgets d’actions culturelles à l’étranger.

Notre réseau d’établissements à l’étranger, en coordination avec nos attachés et conseillers scientifiques doit détecter les élèves, les étudiants, et les futurs chercheurs susceptibles d’apporter à la France un peu d’air du large, et des compétences. Cet air du large et ces compétences qui sont nécessaires à notre propre développement.

Les moyens étant ainsi donnés de cette manière, et les jeunes chercheurs devant être motivés, il reste à traiter du fonctionnement des institutions et du passage d’une gestion administrative des personnels, ce qui est trop souvent le cas actuellement, à un dispositif qui permette le développement des talents dans toute leur diversité.

D’abord le Haut Conseil Scientifique et Technique, agissant selon mon projet, avec la collaboration étroite avec un Commissariat au Plan qui est à rétablir doit donner les grandes orientations de la recherche, avec un rôle incitatif, en pratiquant une veille constante par rapport à l’évolution de la recherche scientifique dans le monde.

L’Agence Nationale de la Recherche, l’ANR, qui a désormais un monopole du financement de presque toute la recherche, du moins une grande partie, ne doit plus être pilotée par le Ministère avec une vision de rentabilité à court terme, sous la pression de lobbys politiques et industriels, mais doit voir au contraire à long terme. Il faut que la recherche fondamentale reprenne là le poste de commande, et que l’ANR applique les orientations du Haut Conseil de la Recherche Scientifique et Technique, en lui rendant réellement des comptes.

Les personnes qui travaillent dans l’enseignement supérieur et dans la recherche ne doivent pas passer de plus en plus de temps à remplir des dossiers de demande de financement, dans une contrainte d’austérité, aux ANR.

Au contraire, les projets blancs qui nourissent la recherche fondamentale de dotations sécurisées sur les long et moyen termes, doivent avoir la priorité sur les projets à court terme.

Enfin, l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, l’AERES, ne doit plus pratiquer une notation uniforme des laboratoires comme elle le fait aujourd’hui. Les notes créent une ambiance, souvent, de salle de classe, un peu infantilisante et démobilisatrice. Une évaluation est nécessaire, mais d’un point de vue adulte et adapté à chaque type de laboratoire.

Le travail de recherche doit être par principe évalué sur des critères qui soient strictement scientifiques, au niveau des équipes de recherche, et pas individuellement.

Le CNRS enfin ne doit pas être démantelé et morcelé en une institution mono-disciplinaire, mais rajeuni et musclé avec toute la richesse que donne la pluridisciplinarité. Je ne laisserai pas convertir le CNRS en une agence de moyens. En effet, c’est lui qui a permis l’émergence de thématiques nouvelles, qui supposent, de plus en plus, des interactions fortes entre disciplines. Le statut de ses personnels offre des possibilités d’investissement dans les travaux de long terme, qui en font l’un des rares pôles réels d’attraction de notre système (du système français), comme le prouve le grand nombre d’étrangers candidats au recrutement, malgré les salaires qui ne sont pas merveilleux.

Cependant, les agents du CNRS, aujourd’hui, par la force des choses, tendent à devenir des chercheurs à vie dont l’âge moyen est de 45-48 ans.

Bien peu de jeunes sont dans ces conditions en mesure de devenir scientifiquement autonome aux environs de 28-35 ans, au moment où leur potentiel humain est le plus grand et peut être donné à plein.

Le risque que nous avons vu est que la loi du marché démantèle cet appareil vieilli, en ne lui substituant qu’une perspective de résultat exploitable à court terme, selon l’orientation fixée par le gouvernement et l’ANR. Pour éviter ce risque, au lieu de nommer des chercheurs à vie, on doit les affecter à des projets, mais des projets pas à court terme, prioritairement à moyen et long terme, et exiger d’eux qu’ils produisent des rapports d’activité tous les 5 ans.

L’évaluation de ces chercheurs ne doit plus être le fait de sommités dominant des sections particulières, mais des groupes de réflexion à compétence plus générale, et à orientation pluridisciplinaire. L’idée est de responsabiliser les équipes en vue d’un projet, et non de décider de l’avancement d’un homme en raison d’une notoriété trop souvent acquise par cooptation. La recherche doit être plus étroitement associée à l’enseignement, car c’est son horizon naturel. Le CNRS rajeuni et musclé devra ainsi être intégré dans le monde universitaire, lui-même responsabilité par une vraie autonomie, et pas par la fausse autonomie qui lui a été donnée.

Le résultat auquel on doit parvenir est qu’à tout moment, un professeur d’université ou de l’enseignement secondaire puisse devenir chercheur, sans recul de pouvoir d’achat ou de situation administrative. Et qu’à l’inverse, les chercheurs puissent réellement se consacrer à l’enseignement.

Le lien CNRS-université-entreprise doit être établi dans un ensemble où chacun jouer son rôle : ni domaine réservé, ni empiètement. Et le pont doit être assuré entre les deux par des étudiants, qui sont le meilleur vecteur du transfert de technologies. Dans leur entrée dans la vie active, ils sont en mesure d’appliquer les découvertes effectuées en équipe avec les enseignants et dans les entreprises qu’ils rejoignent.

Alors, l’irrigation par les docteurs, par nos docteurs d’universités, et des collectivités, et des administrations publiques, peut en outre être facilitée par des collaborations, comme on l’a vu, avec des écoles d’administration ou des universités, qui aboutissent, ou qui peuvent aboutir, à des doubles diplômes comme l’IEP de Paris et Paris I et VI.

Il reste au niveau de la formation (et je veux conclure sur ceci parce que c’est lié très directement à la recherche) à arrêter la désaffectation croissante des étudiants pour le métier de professeur et de chercheur.

La masterisation imposée sans aucune concertation et contre l’avis quasi-unanime de la communauté universitaire, entraîne une véritable catastrophe. Au CAPES externe de mathématiques, le nombre de candidats présents aux épreuves écrites est passé de 2695 en 2010 à 1285 en 2011. Les rectorats en sont réduits à publier des petites annonces, souvent, pour rechercher les professeurs en mathématiques qui leur manquent.

Il faut donc rétablir l’année de formation professionnelle après le concours, et annuler ce quart d’heure oral ridicule qu’est l’épreuve “agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable”.

C’est aujourd’hui l’Etat lui-même qui doit agir de façon éthique et responsable, et ne plus abandonner ce qui définit sa nature à la frontière de l’avenir, c’est-à-dire sa recherche, ses enseignants chercheurs, et ses chercheurs.

Si on continue comme on va, nous deviendrons comme les dinosaures, qui, incapables de changer de comportement, se sont condamnés à leur propre extinction. Je défends une culture de la découverte et de la vie, pour sortir de cette loi de la jungle qui mènera, si on continue à la tolérer, à la guerre de tous contre tous. Et je dirai pour finir : il est plus tôt que tu ne penses.