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Zone euro : sans Glass-Steagall, la spoliation des dépôts deviendra la règle

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Karel Vereycken

Quand la puissance divine veut du mal à un homme, elle s’attaque d’abord à son esprit.

C’est ce dicton de Sophocle qui caractérise le mieux les dirigeants de la zone euro.

Après avoir usé et abusé de Chypre en intégrant ce paradis fiscal dans la zone euro en 2008, après avoir sauvé les banques allemandes et françaises en réduisant les dettes grecques envers l’île, aujourd’hui, c’est « pour éviter la faillite de Chypre » que l’on assiste à une manœuvre déguisée de renflouement de la Banque centrale européenne (BCE) par l’intermédiaire du plan d’aide aux banques chypriotes et de la spoliation de l’argent des déposants.

Le naufrage de Chypre trouble fortement l’image des dirigeants des 27. Difficile de présenter un bilan gagnant alors qu’on met un cinquième pays de la zone euro sous perfusion. N’avaient-ils pas clamé que « la crise de la zone euro » était derrière nous, que la confiance était revenue ?

En tout cas, en Allemagne, avec les élections en septembre, il est hors de question pour Angela Merkel d’accepter que le contribuable allemand assume l’essentiel des renflouements bancaires.

A partir de la nationalisation brutale et sans compensation de la banque néerlandaise SNS Reaal, il ne s’agit plus de « bail-out » (renflouement avec des ressources extérieures), mais de « bail-in » (renflouement avec des ressources venant de l’intérieur).

Le président actuel de l’eurogroupe, le ministre néerlandais des Finances Jeroen Dijsselbloem, a affirmé au Financial Times et à Reuters que « si une banque à risque ne peut plus se recapitaliser elle-même, alors nous discuterons avec les actionnaires et les créanciers obligataires, nous leur demanderons de contribuer en recapitalisant la banque et, si nécessaire, [nous demanderons] aux détenteurs de dépôts non garantis ».

Que l’on fasse payer les directeurs, les traders et des actionnaires cupides peut se défendre, mais que l’on confisque les avoirs des déposants dépasse l’entendement.

Alors que France et Allemagne espéraient rassurer le citoyen européen grâce à une Union bancaire capable de garantir les dépôts des citoyens à hauteur de 100 000 euros, ceux que certains ont appelé « les 17 salopards » (les ministres des Finances de la zone euro, sans compter Lagarde, Barroso et Draghi), ont ordonné, y compris avec une certaine délectation, que l’on pique dans la poche du simple citoyen dont le seul crime consiste à avoir déposé son épargne dans une banque.

Sous la menace d’un bankrun (retrait massif d’argent liquide) à Chypre, capable de contaminer toute la zone euro et surtout l’Espagne et l’Italie, des conseillers plus instruits ont imposé que l’on fasse marche arrière. Trop tard, messieurs, le mal est fait ! Le fondement de tout système bancaire, c’est la confiance, et elle est désormais dans le même état que vos banques : en faillite !

En attendant la prochaine chute, un bricolage douteux tente de faire tenir debout la zone euro. Pour Chypre, voici, pour ce qu’on puisse en savoir pour l’instant, ce qui vient d’être décidé.

Rappelons d’abord que le système bancaire chypriote gère environ 68 milliards d’euros de dépôts dont 80% sont logés dans les deux plus grandes banques : Laiki (Banque populaire de Grèce) et Bank of Cyprus.

Alors que certains envisageaient de mettre les deux banques en faillite, l’on a estimé que cela ruinerait la place financière de Nicosie. Il s’agit donc de fermer la banque Laiki et de remettre à flot la Bank of Cyprus. D’abord, on envisage de transférer tous les comptes de moins de 100 000 euros de la banque Laiki à la Bank of Cyprus. Les déposants (surtout russes) disposant de plus de 100 000 euros sur un compte de la banque Laiki seront appelés à payer les dettes de la banque…

Pour sa part, la Bank of Cyprus, sans prélever de l’argent sur les déposants disposant de moins de 100 000 euros, confisquera entre 20 et 40% des dépôts de ceux disposant d’un compte avec une somme supérieure. A ces dernier, l’on offrira éventuellement des actions de la même banque en faillite…

En échange de cet accord et d’un plan d’austérité carabiné, la Troïka, via le Fonds européen de stabilité financière (FESF), prêtera 10 milliards d’euros à Bank of Cyprus. Puisque cette dernière a repris les 9 milliards d’euros de dette envers la BCE de la banque Laiki, elle sera désormais en position de renflouer la BCE !

L’Espagne nous offre un autre exemple de spoliation des dépôts. En 2011, 350 000 particuliers espagnols (qui avaient des dépôts dans les caisses d’épargne) s’étaient laissés convaincre d’acheter des actions de la banque Bankia lors de sa création par la fusion de sept caisses d’épargne. Hier, en milieu de matinée, avant sa recapitalisation à hauteur de 10,7 milliards d’euros dans le cadre du plan d’aide européen au secteur, l’action de Bankia à été valorisée à 1 centime d’euro, provoquant une chute de près de 30% du titre...

C’est bien pour mettre un terme à toutes ces pratiques que le Président américain Franklin Roosevelt nomma en 1933 le procureur Ferdinand Pecora à la tête d’une commission d’enquête sur la crise financière et qu’il imposa le Glass-Steagall Act, qui a séparé jusqu’à récemment de façon stricte les banques normales des banques d’affaires à haut risque.

On est porté à croire qu’en 1933, les dieux n’avaient pas encore attaqué l’esprit des dirigeants…