News / Brèves
Back to previous selection / Retour à la sélection précédente

Les conclusions du Rapport Angelides enfin en français ! (2e Partie)

Printable version / Version imprimable

Nous présentons ici la suite de la première traduction française des conclusions de la Commission d’enquête sur la crise financière (FCIC) présidée par le démocrate Phil Angelides, dont le rapport dévastateur a été rendu public le 27 janvier dernier.

Les conclusions implacables de la FCIC ont valeur d’exemple du rejet sans compromis que l’on doit opposer à ces quarante dernières années de prédation financière et qu’il suffirait d’empêcher par des régulations à tous les niveaux que le système devienne un véritable casino financier.

C’est donc de toute urgence que nous appelons une fois de plus, comme nous le faisons depuis le début de la crise, à la constitution d’une véritable Commission Pecora, ayant pouvoir d’instruction, comme à l’époque de l’administration Roosevelt.


Conclusions du rapport de la FCIC
(Deuxième partie)

Nous en concluons que le gouvernement était mal préparé pour faire face à cette crise et que sa réponse inconséquente ajouta aux incertitudes et à la panique sur les marchés financiers. Il était aussi de notre responsabilité d’examiner les réponses du gouvernement à la crise qui se développait, et pas uniquement les politiques et actions l’ayant précédée, afin de déterminer si l’une ou l’autre de ces actions avait contribué ou exacerbé la crise.

Comme le démontre notre rapport, les acteurs politiques clefs – département du Trésor, direction de la Réserve fédérale et banque de la Réserve fédérale de New York – qui étaient les mieux placés pour surveiller nos marchés, étaient mal préparés aux évènements de 2007 et 2008. D’autres agences avaient également un train de retard. Elles étaient gênées [dans leur travail] car elles n’avaient pas d’idée claire du système financier qu’elles avaient pour tâche de surveiller, en particulier de la façon dont ce système avait évolué durant les années ayant mené à la crise. Cela n’était pas sans rapport avec le manque total de transparence de certains marchés clés. Tous croyaient que les risques avaient été diversifiés alors qu’en réalité, ils avaient été concentrés. Constamment, à partir du printemps 2007, législateurs et régulateurs se laissèrent surprendre, alors que la contagion se répandait, répondant de façon ad hoc avec des programmes spécifiques visant à colmater avec le doigt les brèches dans la digue. Il n’y avait aucun plan stratégique d’ensemble pour contenir la crise, car ils ne comprenaient pas le risque ni les interconnexions des marchés financiers. Quelques régulateurs ont admis cette erreur. Nous avions laissé ce système devancer notre capacité à le protéger.

Alors que s’amorçait une prise de conscience, ou tout au moins un débat sur la bulle immobilière, l’histoire consignée montre qu’aucune autorité publique n’envisageait que l’explosion de cette bulle puisse menacer l’ensemble du système financier. Durant l’été 2007, le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, et le secrétaire au Trésor, Henry Paulson, affirmèrent publiquement que les turbulences sur les marchés des hypothèques subprimes seraient contenues. Lorsque les hedge funds de [la banque d’affaires] Bear Stearns, qui étaient surinvestis dans des titres adossés à des hypothèques, implosèrent en juin 2007, la Réserve fédérale communiqua sur les conséquences de cet effondrement. Malgré le fait que tant d’autres fonds se trouvaient exposés aux mêmes risques que ces hedge funds, elle déclara que Bear Stearns était un cas « relativement unique » . Quelques jours à peine avant l’effondrement de Bear Stearns en mars 2008, le porte-parole de la SEC Christopher Cox se disait confiant dans la capacité des grandes banques d’affaires d’ « amortir le choc » . Ce ne fut qu’en août 2008, à peine quelques semaines avant la mise sous tutelle par le gouvernement de Fannie Mae et Freddie Mac, que le département du Trésor prit la pleine mesure du chaos financier qui y régnait. A peine un mois avant la faillite de Lehman Brothers, l’agence de la Réserve fédérale de New York cherchait toujours à connaître les risques posés par les 900 000 contrats en produits dérivés de cette banque.

De plus, la gestion incohérente des grandes institutions financières par le gouvernement durant la crise – décision de sauver Bear Stearns, puis de placer Fannie Mae et Freddie Mac sous tutelle, puis de ne pas sauver Lehman Brothers pour finalement sauver AIG – accrut les incertitudes et la panique sur les marchés.
En faisant ces constats, nous respectons profondément et apprécions les efforts du secrétaire Paulson, du directeur Bernanke et de Timothy Geithner, ex-président de la banque de la Réserve Fédérale de New York, maintenant au Trésor, et de tous ceux qui oeuvrèrent pour stabiliser notre système financier et notre économie dans des circonstances chaotiques et défiantes.

Nous en concluons qu’il y a eu un effondrement systémique du sens de responsabilité et de l’éthique. L’honnêteté de nos marchés financiers et la confiance du public sont essentielles au bien-être économique de notre nation. La santé et la prospérité pérenne de notre système financier et de notre économie reposent sur les notions de pratiques justes en affaires, de responsabilité et de transparence. Dans notre économie, nous attendons des entreprises et des individus qu’ils cherchent des profits mais qu’en même temps, ils fournissent des biens et des services de qualité tout en se comportant correctement.

Malheureusement – comme ce fut déjà le cas lors de précédents booms et krachs spéculatifs –nous avons été témoins d’une érosion du sens des responsabilités et de l’éthique qui a exacerbé la crise financière. Ce n’était pas un phénomène universel, mais cette érosion s’est étendue du bas de l’échelle jusqu’aux conseils d’administration. Cela s’est non seulement traduit en pertes financières significatives, mais a aussi entamé la confiance des investisseurs, des entreprises et du public à l’égard du système financier.

Par exemple, notre enquête révéla, sur la base d’une statistique, que le pourcentage d’emprunteurs ayant fait défaut à peine quelques mois après avoir contracté leur hypothèque, avait doublé entre l’été 2006 et la fin 2007. Cela indique qu’ils ont probablement contracté des hypothèques qu’ils n’ont jamais eu la capacité ou l’intention de rembourser. Vous allez lire ici comment certains vendeurs d’hypothèques touchaient de grosses primes [« Yield Spread Premiums », ndt] de la part des prêteurs pour les amener à placer, auprès de leurs clients et à leur insu, des hypothèques bien plus chères et récolter ainsi des commissions plus importantes. Le rapport dresse le catalogue de l’incidence grandissante des fraudes hypothécaires qui ont fleuri dans un contexte de relâchement des normes de crédit et de régulation laxiste. Le nombre de cas signalés d’activités financières suspectes – rapports de crimes financiers potentiels déposés par les banques et leurs filiales – liées à des fraudes hypothécaires fut multiplié par vingt entre 1996 et 2005, avant de plus que doubler entre 2005 et 2009. Une étude chiffre à 112 milliards de dollars les pertes résultant de fraudes hypothécaires entre 2005 et 2007.

Des prêteurs accordaient des prêts à des emprunteurs sachant qu’ils ne pouvaient pas rembourser et qu’ils pouvaient causer des pertes immenses à ceux qui investissaient dans les titres adossés aux hypothèques. Dès septembre 2004, des cadres de Countrywide reconnaissaient que de nombreux prêts qu’ils accordaient pouvaient entraîner des « conséquences catastrophiques ». Moins d’un an plus tard, ils se rendirent compte que certains de leurs prêts à haut risque pouvaient conduire non seulement à des évictions mais à une « catastrophe pour l’activité financière et la réputation » de l’entreprise. Mais ils ne se sont pas arrêtés.

Le rapport documente également comment de grosses institutions financières ne triaient pas suffisamment les prêts qu’elles achetaient pour les revendre sous forme de paquets aux investisseurs. Elles savaient qu’un pourcentage significatif de ces échantillons ne correspondait pas à leurs propres normes d’éligibilité, ni même à celles des émetteurs d’origine. Néanmoins, elles ont vendu ces titres aux investisseurs. L’examen par la Commission de nombreux prospectus publicitaires destinés aux clients a révélé que cette information essentielle ne leur avait pas été fournie.

Ces conclusions doivent être vues à la lumière de la nature humaine, mais aussi de la responsabilité individuelle et collective. Accuser en premier lieu la cupidité et la démesure serait trop simpliste. C’est l’échec à prendre en compte la faiblesse humaine, qui est clé dans cette crise.

Deuxièmement, nous croyons fermement que la crise est le fruit d’erreurs humaines, d’erreurs de jugement et de méfaits qui produisirent des échecs systémiques que notre pays a chèrement payés. En lisant ce rapport, vous constaterez que des entreprises et des individus spécifiques ont agi de manière irresponsable. Pourtant, une crise d’une telle ampleur ne peut être l’œuvre de quelques mauvais acteurs, et ce n’était pas le cas ici. En même temps, le fait que la crise soit si étendue n’implique pas que « tout le monde est coupable » ; de nombreux individus et entreprises n’ont pas participé aux excès responsables du désastre.

Nous faisons cependant porter une responsabilité particulière aux dirigeants des institutions publiques, chargés de protéger notre système financier, aux dirigeants en charge des autorités de régulation et aux dirigeants des grands groupes, qui nous conduisirent à la crise. Ces individus ont recherché et accepté des postes de grandes responsabilités et devoirs. La voix du chef doit porter, et dans ce cas, nous avons été déçus. Personne n’a dit « non ».

Mais en tant que nation, nous devons aussi accepter la responsabilité de ce que nous avons laissé se produire. Collectivement, mais pas unanimement sans doute, nous avons consenti ou embrassé un système, un ensemble de politiques et d’actions, qui a donné naissance à nos problèmes actuels.

***

Ce rapport décrit les événements et le système qui ont plongé notre nation au plus profond de la crise. La machinerie complexe de nos marchés financiers a de nombreux rouages essentiels, dont certains jouèrent un rôle décisif alors que la crise se développait et s’aggravait. Nous livrons ci-dessous nos conclusions quant à des composantes spécifiques de ce système qui, à notre sens, ont contribué de façon significative à l’effondrement financier.

Nous en concluons que l’abaissement des normes d’éligibilité aux prêts hypothécaires et la titrisation de ces prêts ont fourni l’étincelle initiale et propagé l’incendie de la crise à tout le système. Lorsque les prix de l’immobilier s’effondrèrent et que les emprunteurs firent défaut, les lumières s’éteignirent à Wall Street. Ce rapport passe en revue l’abaissement des normes des emprunts hypothécaires et le pipeline de la titrisation qui transporta les hypothèques toxiques des voisinages américains aux investisseurs du monde entier.
De nombreux vendeurs d’hypothèques abaissèrent le seuil d’éligibilité au point de s’en remettre à la simple bonne foi du client, et souvent ne tenaient volontairement pas compte de la capacité des emprunteurs à rembourser. Près d’un quart des hypothèques accordées durant la première moitié de 2005 étaient des prêts sans aucun apport initial. La même année, 68% des emprunts à « option ARM » [à taux variable] émis par Countrywide et Washington Mutual nécessitaient peu, voire aucun document préalable.

Cette évolution n’était pas un secret. Au fur et à mesure que ces pratiques irresponsables, souvent prédatrices et frauduleuses, prévalaient de plus en plus, des signaux d’alarme remontèrent de toutes parts vers la Réserve fédérale et les autorités de régulation. Pourtant, la Réserve fédérale négligea sa mission « d’assurer la sécurité et la fiabilité du système bancaire et financier de la nation et de protéger le droit au crédit des consommateurs » . Elle échoua à ériger un barrage avant qu’il ne fût trop tard. Enfin, l’Office of the Comptroller of the Currency [Agence de supervision bancaire] et l’Office of Thrift Supervision [Agence du Trésor en charge de superviser l’épargne], engagés dans des querelles de clochers, empêchèrent les régulateurs des Etats de brider les abus.

Alors que bon nombre des hypothèques étaient conservées dans les bilans des banques, une masse beaucoup plus importante de capitaux en provenance d’investisseurs internationaux cherchait à s’investir dans de nouvelles titrisations adossées aux crédits hypothécaires. Pour les institutions financières comme pour les investisseurs et les régulateurs, le risque semblait dompté : les investisseurs détenaient des titres à haut risque qu’ils estimaient sûres, les banques pensaient avoir évacué de leur comptabilité les prêts les plus risqués et les régulateurs voyaient des entreprises faire des profits et le coût du crédit baisser. Mais chaque maillon de la chaîne de titrisation hypothécaire dépendait du maillon suivant, celui capable de soutenir la demande. La chaîne courait, du spéculateur jonglant avec les résidences, en passant par le courtier dénichant l’emprunteur et le prêteur qui émettait l’hypothèque, pour aboutir aux organismes financiers. Ces derniers avaient créé les titres adossés au crédit hypothécaire, les obligations adossées à des créances (Collateralized Debt Obligations ou CDO), des CDO’s au carré ou encore des CDO synthétiques : personne dans cette chaîne d’hypothèques toxiques n’avait assez de surface. Tous croyaient pouvoir, au dernier moment, passer le risque au maillon suivant de la chaîne. Ils avaient tort. Quand les emprunteurs cessèrent de rembourser les hypothèques, les pertes, amplifiées par les produits dérivés, se précipitèrent à travers le pipeline. Comme on le constata alors, ces pertes se concentraient sur un ensemble d’institutions financières d’importance systémique.

En fin de compte, le système qui avait pu créer si efficacement des millions d’hypothèques s’avéra difficile à démonter. Sa complexité fit obstacle à toute modification d’hypothèques qui aurait permis aux familles de garder un toit, et créa des incertitudes supplémentaires sur la santé du marché de l’immobilier et les institutions financières.

Nous en concluons que les produits dérivés de gré à gré ont contribué de façon significative à cette crise. L’adoption, en 2000, de lois interdisant les régulations tant fédérales que de la part des Etats, pour tout ce qui concerne les [produits financiers] dérivés négociés de gré à gré (Over-the-counter ou OTC), constitua le tournant décisif dans la marche vers la crise financière.

Pour les institutions financières, les entreprises, les agriculteurs et les investisseurs, les produits dérivés avaient été le moyen de parier ou de spéculer sur les variations de prix, de taux, d’indices et même sur certaines éventualités comme le non paiement d’une dette. Cependant, en l’absence de tout contrôle, les dérivés de gré à gré enflèrent démesurément, pour atteindre le montant astronomique de 673 000 milliards de dollars en notionnel. Ce rapport dévoile les effets de levier non contrôlés, l’opacité, les exigences en capital et en collatéral, la spéculation, l’interdépendance des firmes, enfin la concentration des risques sur ce marché.

Les dérivés de gré à gré contribuèrent à la crise de trois façons décisives. En premier lieu, une catégorie de ces produits – les Credit Default Swaps (CDS ou « couvertures de défaillance ») – alimentait la machine à titriser les hypothèques. Les CDS étaient vendus aux investisseurs comme une protection contre un défaut de paiement ou une baisse de la valeur des titres adossés aux hypothèques à risque. Les sociétés financières vendaient à leurs clients une protection (à hauteur de 79 milliards de dollars dans le cas d’AIG) sous forme de nouveaux titres hypothécaires, contribuant au lancement et à l’extension du marché et, en échange, à gonfler la bulle immobilière.

Dans un second temps, les CDS furent essentiels à la création des CDO synthétiques. Ces derniers n’étaient que des paris sur les performances futures de vrais titres adossés aux hypothèques. Ils ont amplifié les pertes de l’explosion de la bulle immobilière en permettant des paris multiples sur les mêmes titres et contribuèrent à les répandre dans l’ensemble du système financier. Rien que Goldman Sachs, du 1er juillet 2004 au 31 mai 2007, vendit, sous forme de paquets, pour 73 milliards de dollars de CDO synthétiques. Les CDO synthétiques de Goldman Sachs offraient un portefeuille de référence de 3400 titres hypothécaires dont 610 au moins étaient des doublons. Cela ne tient pas compte du nombre de fois où ces titres ont été référencés par des CDO synthétiques d’autres sociétés.

Enfin, quand l’explosion de la bulle immobilière amorça la crise, les dérivés étaient au centre de la tempête. AIG, à qui l’on n’avait jamais demandé de mettre de côté des capitaux pour servir de « coussin » de protection à ce qu’elle vendait, fut renflouée lorsqu’elle s’avéra incapable d’honorer ses obligations. L’Etat s’engagea, en fin de compte, pour plus de 180 milliards de dollars, de crainte que la faillite d’AIG ne provoque des pertes en cascade dans tout le système financier international. De plus, l’existence de millions de contrats dérivés de tout type, échangés entre institutions d’importance systémique – contrats invisibles et non-identifiables sur ce marché dérégulé – ne fit qu’ajouter aux incertitudes et à la panique, contribuant à l’assistance de l’Etat auprès desdites institutions.

Nous en concluons que les échecs des agences de notation du crédit furent un rouage essentiel du mécanisme de destruction financière. Les trois agences de notation ont joué le rôle d’habilitateurs de l’effondrement financier. Les titres adossés aux hypothèques, au centre de la tourmente, n’auraient jamais pu se vendre et trouver preneur sans leur sceau d’approbation. Les investisseurs leur faisaient confiance, souvent aveuglément. Dans certains cas, ils étaient obligés d’y recourir sous peine de devoir se conformer à des standards régulateurs. Cette crise n’aurait pas pu se produire sans les agences de notation. Leurs notes ont aidé les marchés à s’emballer et leur dégradation en 2007-2008 provoqua le chaos sur les marchés et parmi les sociétés.

Dans notre rapport, vous pourrez prendre connaissance des défaillances de l’agence Moody’s, un cas d’étude pour notre Commission. De 2000 à 2007, Moody’s attribua la note triple A à environ 45 000 titres adossés à des hypothèques. En comparaison, début 2010, seules six entreprises privées américaines se sont vu attribuer cette note tant convoitée. Rien qu’en 2006, Moody’s accordait chaque jour ouvrable un triple A à trente de ces titres. Le résultat fut désastreux : 83% des titres notés triple A cette année-là furent décotées par la suite.

Vous y verrez également les forces à l’œuvre derrière les défaillances de Moody’s, depuis les modélisations informatiques défaillantes jusqu’aux pressions des sociétés financières qui payaient pour les notations, la course aux parts de marché, le manque de ressources nécessaires malgré des profits records et l’absence de contrôle public sérieux. Vous constaterez que sans la participation active des agences de notation, le marché des titres hypothécaires n’aurait pas pu devenir ce qu’il est.

***

Beaucoup d’analyses sont en compétition quant aux causes de la crise. A cet égard, la Commission s’est engagée à répondre aux questions clefs qui lui étaient posées. Ici, nous en évoquerons trois : la disponibilité du capital et l’excès de liquidités ; le rôle joué par Fannie Mae et Freddie Mac [les GSE, Government Sponsored Enterprises, entités paragouvernementales] ; enfin la politique de logement du gouvernement.

En premier lieu, l’excès de liquidités : nous avons esquissé la politique monétaire et les flux de capitaux durant les années conduisant à la crise. L’existence de taux bas, la grande disponibilité de capitaux ainsi que le souhait des investisseurs étrangers d’investir dans l’immobilier américain, furent les conditions préalables à la formation d’une bulle de crédit. Ces conditions augmentèrent les risques qu’auraient dû identifier les acteurs du marché, les décideurs politiques, ainsi que les régulateurs. Cependant, notre Commission conclut que l’excès de liquidités ne devait pas nécessairement causer la crise. Ce sont les défaillances indiquées plus haut – y compris l’incapacité à mettre un terme aux excès du marché hypothécaire et financier – qui furent la principale cause de cette crise. En effet, la disponibilité de capitaux nationaux ou internationaux, à un coût relativement bas, représente une opportunité d’expansion et de croissance économique si l’on oriente ce flux dans des directions productives.

En second lieu, nous nous sommes penchés sur le rôle des GSE, Fannie Mae nous ayant servi de cas d’étude dans ce domaine. Ces GSE avaient un statut très problématique car il s’agissait d’entreprises cotées en bourse bénéficiant du soutien implicite et des subsides de l’Etat, et dotées d’une mission d’intérêt général. Leur exposition de 5000 milliards de dollars au marché hypothécaire et sur les marchés était majeure. En 2005 et 2006, ils décidèrent de booster encore leurs achats et leurs garanties sur les prêts hypothécaires à risque, au moment même où le marché de l’immobilier atteignait son sommet. Les GSE usèrent des décennies durant de leur pouvoir politique pour se garder de toute régulation effective et surveillance, dépensant 164 millions de dollars pour du lobbying de 1999 à 2008. Elles eurent généralement à déplorer les mêmes défaillances de gestion d’entreprise et de risque que celles identifiées par la Commission dans d’autres entreprises financières. Lors du troisième trimestre 2010, le département du Trésor dépensa 151 milliards de dollars pour les maintenir à flot.

Nous en concluons que ces deux entités ont contribué à la crise, sans en être la cause principale. Il est important de noter que les titres adossés aux hypothèques des GSE maintinrent leur valeur pendant la crise, sans contribuer aux pertes financières substantielles subies par les entités qui se retrouvaient au centre de la crise financière.

Les GSE contribuèrent à l’expansion des hypothèques subprimes et autres hypothèques à risque, mais, plutôt que de la diriger, elles suivirent Wall Street et d’autres emprunteurs dans l’irresponsable ruée vers ce miroir aux alouettes. En achetant les titrisations non-GSE les mieux notées des hypothèques à risque, elles apportèrent de l’hélium à la bulle immobilière, bien que leurs acquisitions n’aient jamais représenté la majorité du marché. En 2001, ces achats représentaient 10,5% des titres adossés aux hypothèques subprimes. Ils monteront à 40% en 2004 pour retomber à 28% en 2008. Les GSE assouplirent leurs critères d’éligibilité pour l’achat et la garantie des emprunts à très haut risque, afin de prendre des parts du marché et de garantir de généreuses rétributions à leurs cadres et employés – en justifiant ces pratiques par leur soutien plein et entier à la politique fédérale promouvant l’accès à la propriété.

La Commission examina également la performance des prêts acquis ou garantis par Fannie et Freddie. Bien qu’ayant généré des pertes substantielles, la proportion délictuelle des prêts GSE resta inférieure à celle de prêts titrisés par d’autres sociétés. Par exemple, les données compilées par la Commission pour une sous-catégorie d’emprunteurs avec des scores comparables, c’est-à-dire en dessous de 660, démontrent qu’à la fin 2008, la probabilité pour les hypothèques GSE de devenir délictuelles était nettement moindre que pour les hypothèques titrisées non GSE : le rapport étant de 6,2% contre 28,3%.

Nous avons également étudié en profondeur comment les quotas d’aide à l’acquisition immobilière fixés par le ministère du Logement et du Développement urbain (Housing and Urban Development, HUD) affectèrent les investissements des GSE dans les hypothèques à risque. Sur la base des preuves et les auditions de plusieurs douzaines de personnes impliquées dans ce domaine, nous en avons déduit que ces quotas n’ont contribué que marginalement à la participation de Fannie Mae et Freddie Mac dans ces hypothèques.

Au final, quant à savoir si la politique fédérale du logement fut une cause première de la crise : depuis des décennies, le gouvernement encourage l’accès au logement par un ensemble de mesures incitatives, des programmes d’assistance et des mandats. Ces politiques furent mises en place et promues sous plusieurs administrations et législatures successives – en effet, aussi bien les présidents Bill Clinton que George W. Bush ont fixé des objectifs ambitieux pour encourager l’accession à la propriété.

Au cours de notre enquête, nous avons regardé de près les objectifs du HUD en termes d’aide pour l’accès à la propriété, comme noté ci-dessus, ainsi que ceux de la Community Reinvestment Act (CRA, loi de financement des collectivités). Le CRA fut adopté en 1977 pour combattre la pratique du « marquage au rouge » par les banques – une pratique qui consistait à refuser un crédit à des particuliers ou à des entreprises de certains quartiers sans prendre en compte leur réelle santé économique et leur solvabilité. Le CRA exige des banques et des caisses d’épargnes qu’elles prêtent, investissent et fournissent des services à des collectivités dont elles acceptent les dépôts, en conformité avec la sécurité et fiabilité bancaire.

La Commission en conclut que le CRA ne représenta pas un facteur décisif dans l’expansion des subprimes, ni dans la crise elle-même. Nombre des vendeurs de subprimes n’opéraient pas dans le cadre de la CRA. Les enquêtes indiquent que seuls 6% des prêts à prix élevé (autre terme pour subprimes) étaient liés à cette loi. Le risque de défaut sur les prêts accordés par des organismes régulés par le CRA dans le périmètre dont ils avaient la charge, fut moitié moindre que celui de prêts similaires dans les mêmes quartiers, contractés auprès de vendeurs hypothécaires indépendants non assujettis à cette loi.

On peut cependant faire le constat suivant sur les politiques publiques d’accession à la propriété : elles ont échoué à cet égard. En tant que nation, nous nous sommes fixé des objectifs ambitieux pour l’accès à la propriété, avec le souhait de rendre le crédit disponible à des familles jusqu’ici privées d’accès au marché financier. Cependant, l’Etat n’a pas su garantir que cette philosophie ouvrant la porte à une opportunité nouvelle s’accorde à la réalité du terrain. En témoigne une fois de plus l’échec de la Réserve fédérale et des autres régulateurs à mettre un terme à des pratiques de crédit irresponsables. L’accès au logement atteignit son sommet au printemps 2004 et commença ensuite à décliner. A partir de ce moment-là, le thème de l’opportunité entra tragiquement en dissonance avec la réalité d’un désastre financier en cours.

***

Lorsque notre commission commença son enquête, il y a dix-huit mois, certains imaginaient que les évènements de 2008 et leurs conséquences seraient loin derrière nous lors de la publication de notre rapport. Pourtant, plus de deux ans après l’intervention sans précédent du gouvernement fédéral sur les marchés financiers, notre pays se bat encore pour surmonter les conséquences de la calamité. Sous bien des aspects, notre système financier demeure tel qu’il était avant la crise. Notre système financier, à bien des égards, est resté inaltéré par rapport à ce qui existait à la veille de la crise. En effet, après la crise, le secteur financier américain se trouve plus concentré que jamais entre les mains d’une poignée d’institutions d’importance systémique.

Quoique nous n’ayons pas eu pour mission d’émettre des recommandations politiques, l’objectif même de notre rapport était de prendre la véritable mesure de la crise, afin d’esquisser une nouvelle approche. Au cours de notre enquête, nous avons identifié des défaillances dramatiques dans la gouvernance des entreprises, des trous béants dans nos systèmes de régulation et des faiblesses quasi-fatales à notre système financier. Nous avons aussi découvert qu’une série de décisions et d’actions nous ont conduits vers une catastrophe à laquelle nous étions mal préparés. Ce sont des sujets graves, que l’on doit affronter et résoudre afin de rétablir la confiance dans nos marchés financiers, afin d’éviter la prochaine crise et reconstruire un système capitalistique qui puisse fonder une nouvelle ère, celle d’une prospérité largement partagée.

La véritable tragédie serait d’accepter le refrain selon lequel personne ne pouvait prévoir ce qui s’est passé et qu’on ne pouvait donc rien y faire. Si l’on accepte cette idée, elle se reproduira.

Ce rapport ne doit pas être perçu comme la conclusion finale de l’examen national des évènements de la crise. Il reste encore beaucoup à apprendre, beaucoup à enquêter et beaucoup à réparer.

C’est notre responsabilité collective. C’est à nous de faire des choix différents si l’on veut obtenir des résultats différents.


>>> Première Partie