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Syrie : Au bord de l’abîme : la raison

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par Christine Bierre, en liaison avec Bassam El-Hachem au Liban

Les Américains n’avaient plus d’autre choix que d’ouvrir les négociations pour un règlement politique en Syrie, a estimé Bassam El-Hachem, cadre du Courant patriotique libre (CPL), le mouvement du général Michel Aoun au Liban, évoquant la décision prise lors des rencontres à Moscou, les 7 et 8 mai, entre le secrétaire d’Etat américain John Kerry et le président russe Vladimir Poutine.

Bassam El-Hachem, qui revenait juste de Syrie, où il avait participé à une mission de réconciliation qui avait amené sur place une vingtaine de responsables d’associations internationales afin de constater l’état du pays et rencontrer de nombreuses personnalités officielles de premier plan et de l’opposition qui n’a pas utilisé d’armes contre son pays, a confirmé que la rébellion financée par les capitales occidentales et leurs amis au Qatar et en Arabie saoudite allait tout droit vers la défaite.

Depuis deux ou trois semaines, l’armée loyaliste engrange les victoires, reprenant des pans entiers du territoire, notamment la région qui constitue l’épine dorsale du pays, allant de Lattaquié à Damas en passant par Homs et la région d’Al-Qusayr. En même temps, de nombreux éléments qui avaient rejoint la rébellion, emballés par un vent du Printemps arabe qui a tourné plutôt en violent chammal venu d’Arabie saoudite, rejoignent le camp de la Syrie souveraine.

C’est pour tenter de regonfler le moral d’une armée djihadiste en déroute, qu’Israël a lancé le week-end des 4 et 5 mai des raids contre quatre sites stratégiques aux portes de Damas. Selon la journaliste libanaise Scarlett Haddad, les tirs israéliens ont visé « la colline de Qassioun où seraient installées les positions russes, en face du palais présidentiel, le siège de la garde présidentielle, des dépôts d’armes et de munitions et le centre de recherche de Jamraya, le tout dans le secteur de Ghouta qui commande pratiquement l’entrée de Damas ».

Les raids israéliens ont été parfaitement coordonnés avec une offensive djihadiste sur quarante points, qui a démarré deux heures plus tard dans la même région de Damas, illustrant de façon limpide l’implication de l’Etat hébreux aux côtés des djihadistes islamiques, déployés de façon éhontée par les pays de l’OTAN pour détruire la Syrie millénaire.

Trop tard. En poussant le monde au bord de l’abîme d’une nouvelle guerre mondiale pouvant monter jusqu’au seuil nucléaire, la folie israélienne a créé les conditions où les grandes puissances se sont ressaisies. Kerry fut alors envoyé à Moscou, où il rencontra le Président russe pendant trois heures, puis le ministre des Affaires étrangères, Serguei Lavrov. Il en sortit la proposition d’une conférence de paix fin mai et le retour à l’accord de Genève de l’été 2012.

Reflétant les nouveaux rapports de force sur le terrain, un vrai retournement a eu lieu sur le terrain, rapporte Bassam El-Hachem. Le gouvernement syrien a utilisé l’intervention ratée israélienne pour pousser pleinement son avantage.

Les autorités israéliennes accusent régulièrement la Syrie de fournir de nouvelles armes à ses alliés du Hezbollah au Liban. A tort, rétorquent les autorités syriennes qui, en guise de riposte à ces raids, ont annoncé les décisions suivantes. D’abord, la Syrie s’engage à livrer de nouvelles armes au Hezbollah. Son chef, Hassan Nasrallah, lui a emboîté le pas en déclarant publiquement qu’il les accepterait. Ensuite, le 9 mai, le vice-ministre des Affaires étrangères syrien, Fayçal Moqdad, a donné « instruction » à l’armée, « de répondre immédiatement à toute nouvelle attaque israélienne ». Enfin, dernière menace, Damas annonça l’ouverture du front du Golan (occupé par Israël) aux combattants de la résistance.

Il s’agit là, en effet, d’une bonne recette pour une conflagration générale et une guerre mondiale ! C’est ce que les Américains ont compris et qu’ils ne veulent plus risquer, selon Bassam El-Hachem. Ils avaient cru au départ pouvoir faire chuter le régime en quelques semaines, comme en Tunisie et en Egypte. Mais après deux ans de guerre et devant l’incapacité de la rébellion de s’imposer, ils ne veulent plus prendre de risques.

D’ici la fin mai, cependant, les risques de voir cette tentative de paix sabordée sont très grands. Et on a déjà vu qui pense avoir intérêt à poursuivre la guerre. Il y a d’abord David Cameron et l’empire britannique, qui continuent à brandir le spectre des « armes chimiques » prétendument utilisées par le régime de Bachar al-Assad ; Israël, qui n’a pas abandonné son obsession de frappes contre l’Iran et le Hezbollah ; la Turquie qui a immédiatement blâmé le régime syrien pour les deux explosions à ses frontières, en territoire kurde. Il y a aussi, et le cas de la France est caricatural à cet égard, des réseaux médiatiques qui, comme Le Monde sous la nouvelle direction de Natalie Nougayrède, ou Libération, partagent avec Israël et l’Empire britannique l’hystérie anti-Assad.

Quant aux Américains, Bassam El-Hachem et d’autres experts régionaux estiment qu’ils tenteront, d’ici la fin mai, d’affaiblir autant qu’ils le pourront le pouvoir de Bachar al-Assad, de façon à obtenir de plus grandes concessions lors des négociations fin mai. C’est ce qui explique que suite à la percée des 7 et 8 mai à Moscou, John Kerry ait remis de l’avant l’exigence du départ du Président syrien, alors qu’en remettant en selle l’accord de Genève, qui n’exigeait pas explicitement cette condition, Américains et Russes avaient réussi à relancer le processus de paix.

C’est pourquoi les espoirs de l’homme politique américain, Lyndon LaRouche, vont plutôt vers le chef d’état major interarmées, Martin Dempsey, qui doit se rendre à Moscou le début juin. Ce n’est pas avec gaîté de cœur que Barack Obama se résoudra a signer la paix. Mais celui-ci aura d’autres chats à fouetter. Il devra faire face aux accusations de plus en plus virulentes d’une coalition bi-partisane au Congrès qui exige de savoir si, à Benghazi, Obama a lâché l’Ambassadeur Stevens, tué par les djihadistes, alors qu’on aurait pu lui porter secours ; il devra aussi faire face à la rage du peuple américain qui subira de plein fouet les coupes budgétaires alors que pas un sel banquier de Wall Street, hormis Madoff, n’a été inquiété par la justice depuis le début de la crise de subprimes en 2007.

Notons sur la question de savoir si Bachar al-Assad pourra participer aux négociations et rester en place, question agitée par tous les réseaux hostiles à la paix, Bassam El-Hachem estime qu’elle n’est pas d’actualité en tant que telle, car Bachar al-Assad est le président d’un pays souverain en guerre contre des bandes armées déployées depuis l’étranger. Participer à ces négociations serait, pour lui, se rabaisser au niveau des chefs de bandes qui ont voulu dépecer son pays. Bien que cette question épineuse n’ait pas été tranchée, il y a fort à parier que ce sont de hauts responsables du gouvernement syrien qui mèneront, dans un premier temps, ces négociations.