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Les véritables retombées économiques de l’espace
11 juin 2013
Benoit Chalifoux de Groupe espace - La plupart des communiqués de presse et articles associés à l’industrie spatiale présentent les retombées économiques et technologiques en provenance de ce secteur de manière simpliste, ce qui explique en grande partie pourquoi il a du mal à susciter l’enthousiasme et les vocations, notamment parmi les jeunes qu’il a du mal à recruter. [1] Paradoxalement, les États-Unis dépensent, par habitant, alors qu’ils sont souvent présentés comme un pays pragmatique et matérialiste, dix fois plus que l’Europe dans leur programme spatial (100 euro/an pour les premiers et 10 euro/an pour l’Europe). La vision défendue par John F. Kennedy et les décisions économiques qu’il a prises pour concrétiser cette vision en sont la raison première, tandis que l’enthousiasme de grands scientifiques comme von Braun et Ehricke, de même que leurs nombreux efforts pour partager leur passion auprès de la population ont également joué un rôle déterminant.
Pour revenir aux retombées économiques et technologiques à proprement parler, nous allons tenter de donner, au-delà des statistiques souvent peu parlantes pour le citoyen, un sens des bienfaits apportés par le programme spatial. Nous nous concentrons ici sur trois domaines présentant une importance stratégique pour l’humanité dans son ensemble : l’agriculture, la santé et l’énergie. Le même exercice devra également être fait pour l’eau, les moyens de transport et les matières premières (l’industrie minière). 1. L’agriculture de précision Dans l’Héritage d’Apollo , discours prononcé au cours d’une réunion publique en Californie en 1974, Krafft Ehricke fit les observations suivantes : « Il y a actuellement, globalement, 1,8 milliards d’hectares de terres arables en culture. Une extension des terres arables, même de 10 à 20 pour cent, coûtera des milliards de dollars et aura un impact conséquent sur la biosphère. Les besoins alimentaires en augmentation devront être couverts essentiellement par des rendements meilleurs. « Ceci exige de vastes dépenses d’énergie surtout pour la production de fertilisants, mais aussi pour l’irrigation, la machinerie agricole, la distribution, les pesticides et biocides. Une réduction dans l’usage des deux derniers éléments permet d’économiser de l’énergie, de soulager le fardeau écologique et d’améliorer la qualité de l’eau, avec un impact bénéfique sur les coûts d’irrigation. Une réduction des déchets agricoles et un usage plus efficace de fertilisants sont liés aux conditions climatiques. « L’observation de la Terre par satellite permettra d’optimiser cet ensemble complexe d’objectifs d’une manière qui n’est pas seulement efficace en terme de coûts, mais en économisant en même temps des millions de litres d’essence qui seraient autrement utilisés pour la surveillance aérienne traditionnelle. » Cette révolution a été retardée en raison du coût des technologies et surtout de la réduction du budget spatial depuis 1970. Des chercheurs universitaires au Minnesota ont montré au milieu des années 80 qu’une cartographie de haute précision des terres agricoles, avec les technologies spatiales, permettrait de mettre en place un système de répartition fine des engrais et des pesticides afin de réduire les intrants tout en augmentant les rendements futurs. Au-delà d’une cartographie basée, dans un premier temps, sur les rendements des années précédentes, on parvint au cours des années 90 à mesurer, grâce à l’amélioration des capteurs, les rendements au mètre carré près, et ce dès le début de la saison de croissance. Ceci conduisit au déploiement de ce que l’on appelle aujourd’hui des « technologies à taux variable », tant dans l’espace que dans le temps, c’est à dire des technologies permettant de faire varier les débits de pesticides, d’eau et d’engrais selon l’état des sols et des cultures rencontrés par le tracteur au cours de ses déplacements, et selon les moments de la journée ou même de la saison. Indépendamment du recours aux technologies à taux variable, plus récentes et complexes, l’imagerie satellite et le positionnement par satellite permettent depuis quelque temps déjà, avec peu de moyens, de mettre en œuvre des systèmes de guidage des opérateurs de machinerie, de manière à limiter le chevauchement (estimé à un peu moins de dix pour cent) lors des semences, de l’application des engrais et des pesticides. Cela permet de réaliser d’importantes économies en terme de carburant, de temps et de produits, ainsi qu’une réduction de l’impact sur l’environnement. Des pays comme les États-Unis, le Canada et l’Australie sont bien engagés dans cette révolution, alors que la Grande-Bretagne et la France, où la taille moyenne des exploitations est plus modeste, se sont plus récemment mises au travail. Les autres pays européens, ainsi que le Japon et l’Amérique latine, sont encore plus en retard. Des études japonaises ont montré que l’agriculture de précision aura, une fois achevés les travaux d’adaptation à des exploitations de faible dimension, un impact bénéfique pour les régions où la taille des exploitations est faible. L’Asie dans son ensemble pourra déjà s’y convertir, en combinant en un seul effort de modernisation (comme le fait la Chine), le processus de mécanisation avec les technologies spatiales. Une fois le processus de conversion initié en Afrique, l’humanité verra les rendements agricoles dans leur ensemble s’améliorer significativement, et ce pour plusieurs décennies encore. Tout ceci demande un effort d’éducation et de formation, et des moyens publics adéquats. Le nouveau paradigme économique et culturel que nous entendons mettre en place devra répondre à ce type d’impératif. Dans une époque où les crises alimentaires mondiale et les contraintes environnementales se font sentir, une révolution verte associée aux technologies spatiales est un enjeu majeur pour l’avenir. 2. Les satellites et la santéLors d’une conférence de l’Institut Schiller en novembre 2012 en Allemagne, sur le thème « Un nouveau paradigme pour la survie de l’humanité », le docteur Antonio Güell, ancien neuropsychiatre et sous-directeur du CNES chargé des applications spatiales, des applications sociétales, des brevets et des transferts de technologie, a insisté sur la nécessité d’aboutir à des idées originales pour préparer l’avenir. Il a décrit l’émergence d’un nouveau domaine baptisé « santé et satellites », qui jouera un rôle déterminant en Occident en raison du vieillissement et d’une plus grande inactivité des populations, deux facteurs responsables de l’accroissement des maladies chroniques comme le diabète. Il a prédit que leur incidence allait doubler voire tripler. Déjà, 7% des Français sont diabétiques, de même que 6,2% des Allemands et 5% des Chinois, mais la plupart n’en sont pas conscients. Grâce à la mise en place de réseaux terrestres ou satellitaires et au développement des nanotechnologies, bio-capteurs et bio-senseurs, nous verrons s’ouvrir de nouvelles perspectives (consultation depuis des sites isolés, prévention, coaching d’individus et suivi de la santé à domicile). Les satellites de positionnement et de navigation (GPS et Galileo) donneront également lieu, comme nous le verrons plus loin, au développement de la télé-épidémiologie. Le marché annuel des services qui utilisent à 100% des satellites civils est actuellement de 100 milliards d’euro par an, réparti de la manière suivante : 75 milliards au service de la télécommunication (90% de cette somme, soit 68 milliards, étant consacrés à des bouquets de télévision), 23 milliards pour la navigation, l’échange de données bancaires et l’architecture de précision et autres, et le reste, c’est-à-dire 2%, correspondant à l’observation de la Terre. Suite à une étude sur l’espace et la santé commandée en 1997 par le ministre Claude Allègre, les premières applications de la télé-consultation dans les zones isolées ont pu être définies. Il s’agit soit de zones isolées géographiquement comme les régions rurales, soit à bord de bateaux, d’avions ou lors d’expéditions civiles ou militaires. Des systèmes de télé-échographie équipés d’une sonde télécommandée sont déjà à l’œuvre en France, de même que des camions équipés d’une antenne satellitaire permettant de transmettre des images, des données et des fichiers relativement lourds vers les hôpitaux. On assiste également à l’émergence de systèmes d’électrocardiographie et de mesure de la pression artérielle, pouvant collecter et transmettre ces paramètres médicaux vers les hôpitaux. Pour ce qui concerne le diabète, le projet DIABSAT permet déjà de dépister à travers le pays les diabétiques victimes de complications susceptibles de conduire à la cécité, à un infarctus ou un accident vasculaire cérébral, ou bien à la perte de l’usage de ses reins et à la paraplégie. Des camions dotés d’équipements capables d’effectuer cinq types de tests (fond de l’œil, vaisseaux, sensibilité, points de pression au niveau des pieds et fonction rénale) sillonnent le pays depuis octobre 2010. Les premiers résultats ont montré que 24 % de personnes testées ont dû être hospitalisées d’urgence. 3. Une nouvelle révolution pasteurienne, la télé-épidémiologieUn autre exemple d’application donné par le docteur Güell est le secteur des maladies transmises par des moustiques ou des oiseaux. Pour la malaria par exemple, une maladie transmises par les moustiques et donc sensible aux changements climatiques, 50 % de la population mondiale est exposée, avec 250 millions de cas par an et 1 million de morts (OMS 2010). On assiste depuis quelques années à la ré-émergence de toute une série de pathologies, avec des épidémies relativement ponctuelles. Cette ré-émergence est cause de quatre à cinq millions de morts par an dans le monde, dont la moitié sont des enfants. La surmortalité animale est quant à elle de dix à quinze millions par an. Des chercheurs de Barcelone ont élaboré une méthodologie associant des données recueillies au sol – niveau local et régional – aux données observées à partir de satellites d’observation de la Terre à l’échelle du pays ou du continent : végétation, pluviométrie, hygrométrie. Ces données sont combinées pour générer, par voie de modélisation mathématique, des cartes permettant de prévoir la probabilité d’épidémie à l’échelle locale et mensuelle. Ces cartes sont faites tous les trois jours puis fournies aux organismes de santé publique et aux ONG. Dans une ville comme Dakar ou ailleurs en Afrique subéquatoriale, on peut déterminer les endroits où les moustiques vont prédominer et par conséquent les endroits à risque. Plus de sept ans de recherche ont été nécessaires pour démontrer la validité d’une telle approche qui a donné lieu à l’implantation de quelque 22 réseaux en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie. Quatre sociétés employant de 7 à 10 personnes sont déjà spécialisées dans le traitement de ce type d’images. (Chiffres de juillet 2012.) Il existe également un sous-domaine, encore en gestation, lié à l’étude par image satellite des aérosols, de la pollution, des pollens et des maladies qui leur sont associées, comme les allergies dans les pays développés ou la méningite au Sahel, une région fortement balayée par les vents de poussière. En France, 47 PME employant environ 1250 personnes œuvrent dans le secteur des applications sptatiales au service de la santé, avec près d’un milliard d’euro de chiffre d’affaire annuel. Ce nouveau domaine d’applications spatiales est amené à prendre plus d’ampleur dans les années à venir, avec la baisse du prix des télécommunications via satellites, qui est passé de 15 dollars les 10 secondes il y a sept ou huit ans avec INMARSAT, à 0,5 euro avec GLOBALSTAR ou RAYA aujourd’hui, a expliqué le docteur Güell. 4. Un flux d’énergie beaucoup plus denseA la lumière des exemples précédents, on s’aperçoit que la plupart des retombées technologiques du spatial sont pour l’instant cantonnées à l’usage des données satellites. Il en va de même pour le domaine des transports et plusieurs autres, mais c’est une situation qui est appelée à évoluer dans un avenir pas très lointain, nous l’espérons. Ainsi, dans le domaine de la santé, de nombreuses découvertes devront être faites, en raison d’une future présence prolongée de travailleurs et de scientifiques dans l’espace, à propos des interactions entres le rayonnement cosmique et la matière vivante, de même qu’entre le champ magnétique et le squelette des vertébrés. Le domaine le plus stratégique pour le développement de l’humanité sera toutefois celui de l’énergie ; il est déjà possible d’entrevoir que les percées technologiques dans le domaine spatial auront ici aussi un impact retentissant, et qu’elles iront bien plus loin que la seule exploitation de données fournies par des satellites. Toute dynamique de développement économique saine doit s’appuyer sur une croissance de l’énergie libre, un surplus qui doit être en permanence réinvesti dans l’énergie du système, de manière à assurer une croissance continue et homogène de l’ensemble de l’économie mondiale. Ceci n’est possible cependant que si la densité du flux de l’énergie augmente avec le temps, que si des percées scientifiques et technologiques nouvelles sont constamment appliquée à la production de l’énergie. Si la communauté internationale devait définir une mission prioritaire pour les déplacements rapides dans l’espace, pour se rendre sur Mars dans des délais raisonnables ou pour intercepter tout objet céleste menaçant la Terre, il faudrait développer très rapidement des méthodes de propulsion par fusion nucléaire, la source d’énergie la plus dense que l’on connaisse à l’heure actuelle. Ainsi, la fusion nucléaire permettra d’accroître considérablement la densité du flux d’énergie et ouvrira la voie à l’utilisation de nouvelles matières premières, tant sur Terre que dans l’espace, comme le deutérium contenu dans l’eau de mer par exemple, ou bien l’hélium-3 présent sur la Lune.
Comme l’écrit l’OCDE [2] dans un récent rapport, les retombées du spatial, surtout en termes d’impact technologique sur l’ensemble d’une économie (le troisième cône de notre schéma), sont pour le moment difficiles à évaluer, aucune méthodologie homogène n’ayant été développée pour les mesurer. C’est pourtant ici que l’espace a le plus à offrir, est c’est pourquoi il importe de développer rapidement les instruments nécessaires.
[1] L’OCDE notait dans un rapport qu’à l’instar d’autres secteurs de l’économie, « le secteur spatial est particulièrement affecté par la grande vague de départs à la retraite de la part de la génération des baby-boomers » et ajoute que ceci arrive dans le contexte « d’une baisse marquée de la population d’ingénieurs et scientifiques de moins de 30 ans dans la plupart des pays de l’OCDE ». Mais beaucoup plus embarrassant est le fait que « même si l’espace reste un champ a priori attractif pour les jeunes étudiants, le secteur spatial se trouve de plus en plus concurrencé par d’autres secteurs pour les jeunes intéressés par la science (en l’occurrence le développement de logiciels de jeux vidéo [!], les biotechnologies) ». [2] Handbook on Measuring the Space Economy, OCDE, février 2012, Paris. [3] Par exemple, l’épuisement du minerai de cuivre à la fin de l’Age du bronze n’était qu’un phénomène lié à une technologie alors disponible. Sa répercussion sur les coûts sociétaux pour la production du cuivre, comme le démontre les quantités prodigieuses extraites depuis de la croûte terrestre, n’a été qu’un phénomène temporaire. |