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Energy of the Future / L’énergie du futur
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La fusion nucléaire : un tournant dans l’histoire de l’humanité

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Par la rédaction de 21st Century Science & Technology, avec Benoit Chalifoux et Yves Paumier du groupe espace de S&P.

Nous avons atteint le point où non seulement l’homme a la capacité de maîtriser les processus à l’œuvre au cœur du Soleil, mais où cela devient également une nécessité.

La conquête de la fusion est la prochaine étape dans l’évolution de l’humanité, dans la continuité des transitions passées entre l’usage du bois et du charbon, puis des hydrocarbures, suivis de la fission nucléaire. Avec la fusion, l’approvisionnement énergétique de l’économie devient pour la première fois relativement illimité, puisque le combustible contenu dans un litre d’eau de mer fournit autant d’énergie que 2 barils de pétrole. Mais il ne s’agit pas que d’une question de quantité.

En augmentant ce que l’économiste américain Lyndon LaRouche a défini comme la densité du flux d’énergie, nous acquérons la maîtrise d’un débit d’énergie plus élevé et surtout mieux organisé – autrement dit de meilleure qualité – par unité de surface, que ce soit dans l’usage des outils qui nous entourent, dans l’infrastructure ou les méthodes de production. [1]

Dans notre quête pour développer des méthodes de production de flux d’énergie toujours plus denses, chaque étape a servi de point d’appui pour passer au stade supérieur ; à condition toutefois de ne pas trop tarder en chemin. C’est en effet comme si la nature avait disséminé un peu partout dans la biosphère des petits fagots de bois d’allumage, devant nous servir à créer les conditions pour passer au stade supérieur. Il en va de même pour de nombreuses matières premières, comme le fer par exemple, qui ont été laissées sous forme de dépôts concentrés par le long travail des bactéries, comme si la nature avait soigneusement préparé ici aussi notre arrivée.

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Figure 1. Les nuages constitués d’hydrogène forment l’essentiel de la matière interstellaire. Ici, d’immenses nuages d’hydrogène neutre intergalactiques découverts pour la première fois en mai 2013 entre la galaxie d’Andromède et les galaxies du Triangle. (Credit : Bill Saxton, NRAO/AUI/NSF)

Avec la fusion, nous nous apprêtons à franchir un pas extraordinaire, à entrer dans une ère où le combustible disponible ainsi que les matières premières, ne seront plus limitées. Ceci n’a rien d’étonnant, puisque nous nous préparons à prendre le contrôle de processus qui sont à l’origine même de la naissance des étoiles ! Celles-ci naissent en effet, grâce à la fusion, au sein de nuages de gaz composés en grande partie d’hydrogène, qui forment l’essentiel de notre galaxie (du moins si nous excluons la mystérieuse matière noire).

Toutefois, nous avons déjà pris beaucoup de retard et avec la crise frappant les États-Unis et l’Europe, ainsi que les conséquences de l’explosion future de la bulle spéculative des énergies renouvelables et des gaz de schiste, nous risquons de compromettre à jamais nos efforts et nos chances de réussir la transition vers la fusion.

C’est pourquoi nous devons dès maintenant canaliser nos capacités créatrices et nos ressources physiques dans un effort de coopération mondial, afin d’accomplir rapidement les percées requises. Seul un programme à marche forcée comparable au Projet Manhattan ou au programme Apollo, mais cette fois à l’échelle internationale, nous permettra d’y arriver.

Un effort coordonné à l’échelle internationale

Les lents progrès effectués dans la recherche sur la fusion au cours des dernières décennies ne sont pas dus à des problèmes scientifiques à proprement parler, mais à des problèmes politiques. La montée en puissance de l’idéologie malthusienne, du néolibéralisme (avec la mentalité de la rentabilité à court terme qui lui est associée), des politiques d’austérité (combinant malthusianisme et néolibéralisme) et la multiplication des guerres impériales, ont engendré des coupes massives dans la recherche consacrée à la fusion. Ainsi, aux États-Unis par exemple, le Congrès avait voté en 1980 une loi appelant à un programme de recherche ambitieux dans la fusion par confinement magnétique (le « Magnetic Fusion Energy Engineering Act » du député McCormack), visant à construire un prototype de réacteur Tokamak pour l’an 2000. Les fonds n’ont jamais été alloués, comme le montre le graphique de la figure 2.

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Figure 2. La courbe verte représente le niveau de financement réellement consenti par le Congrès américain. En 1980, ce dernier avait voté la loi Magnetic Fusion Engineering Act qui stipulait qu’il faudrait doubler le financement de la recherche sur la fusion à l’horizon 1980. La Loi affirmait également qu’un réacteur de démonstration (semblable à ITER) serait la prochaine étape pour les années 1990, et qu’en 2000 on aurait un prototype. Elle a été votée, puis signée par le président des Etats-Unis. Les financements devaient augmenter (courbe rouge), mais la situation a dégénéré vers un autre scénario, identifié au cours des années 1970 sous le nom de « fusion, jamais » (ligne horizontale noire). Il s’agissait du niveau de financement en-dessous duquel la fusion ne pourrait jamais être développée, même en maintenant des équipes de recherche en activité.

La défi est ainsi plus politique que scientifique. La décision de faire passer l’humanité à l’économie de la fusion doit enfin être prise, une bonne fois pour toute, avant qu’il ne soit trop tard. Sinon l’économie mondiale risque fort de sombrer dans un processus de décadence irréversible.

Les scientifiques qui ont travaillé sur la fusion partout dans le monde et qui sont aujourd’hui à la retraite doivent être rappelés pour aider à l’élaboration d’une stratégie de recherche globale, couvrant toutes les options technologiques, en particulier celles qui ont été abandonnées pour des raisons budgétaires ou politiques. Ils aideront également à identifier celles qui pourraient bénéficier des nouvelles avancées dans le traitement des données, l’ingénierie et le contrôle des systèmes complexes hérités de l’ère spatiale.

Une fois libérés des considérations comptables et en mettant au premier plan celles qui sont liées à la science, à la technique et à l’ingénierie, un ambitieux programme de recherche et de développement pourra être lancé, combinant les capacités et les ressources des États-Unis, de la Russie, de la Chine, du Japon, de la Corée du Sud, du Canada, ainsi que celles des pays européens et autres pays à l’œuvre dans ce domaine. Des institutions comme l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) pourront également être mises à contribution.

Un effort de recherche et de développement prioritaire permettra également d’accroître les ressources pour les programmes déjà en cours, comme le projet ITER actuellement en construction à Cadarache dans le sud de la France. Celui-ci a subi d’importants délais en raison des coupes budgétaires et des vicissitudes politiques. Ainsi, tous les programmes nationaux et internationaux existants seront accélérés, et combinés à de nouveaux programmes dans un effort unifié pour arriver à des résultats probants d’ici une ou deux décennies.

S’il est vrai que la fusion ouvrira la voie à un monde où l’électricité sera disponible en quantité illimitée, d’autres domaines cruciaux de l’activité économique seront eux aussi bouleversés. Ce sera notamment le cas du traitement des matières premières et des déchets, de l’aménagement du territoire et des grands projets d’infrastructure, ainsi que des transports dans l’espace. Nous allons examiner ici ces domaines un à un, en commençant par la production d’électricité.

Électricité et magnétohydrodynamique

Les immenses quantités d’énergie libérées avec la production de noyaux d’hélium-4 et de neutrons (la fusion de première génération, voir encadré sur les réactions de fusion) permettront de générer d’immenses quantités de vapeur, qui pourra ensuite être convertie en électricité grâce à des turbines. L’abondance de deutérium dans l’eau de mer (et de tritium pouvant être fabriqué à partir du lithium, lui aussi abondant dans la croûte terrestre) nous affranchira de l’incessante inquiétude concernant la disponibilité du combustible par rapport aux besoins grandissants de l’humanité.

Les réactions de fusion
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Figure 3

Lorsque deux atomes légers fusionnent (figure 3), un atome plus lourd est créé avec, souvent, la libération d’un neutron ou d’un proton. La masse combinée des produits de la réaction est plus faible que celle des atomes de départ. Cette différence de masse est transformée, selon la célèbre équation d’Einstein E = mc2, en une importante énergie cinétique, dont hériteront les produits de la réaction.

En plus de la réaction deutérium-tritium, que l’on pourrait appeler « fusion de première génération » en raison de sa plus grande accessibilité, il existe d’autres types de réactions de fusion, dont presque toutes ont en commun d’utiliser des atomes légers très abondants dans la nature. A masse de combustible égale, la fusion produit 3 à 4 fois plus d’énergie que la fission (que l’on pourra encore doubler à l’aide de la MHD), et surtout, donne naissance à des produits très peu radioactifs, sauf pour de faibles quantités d’isotopes instables que le flux de neutrons relâchés par la réaction peut dans certains cas générer.

Avec cent millions de degrés comme point de départ, la réaction deutérium-tritium (2D-3T) est la plus aisée à déclencher. Le deutérium, isotope de l’hydrogène, peut être trouvé naturellement et en abondance dans les océans alors que le tritium, autre isotope de l’hydrogène, doit être produit artificiellement à partir du lithium : il disparaît rapidement en raison de sa courte demi-vie.

Ci-dessous (figure 4), les réactions de fusion les plus intéressantes du point de vue économique : elles sont relativement aisées à déclencher et les éléments utilisés sont disponibles en abondance.

He est l’hélium et B le bore, deux éléments aisés à trouver dans la nature. L’exposant en haut à gauche de chaque élément indique le nombre total de protons et neutrons présents dans le noyau de chaque atome. « t » est la température à partir de laquelle la réaction peut être déclenchée. Il est manifeste que la réaction 2D + 3T est la plus facile à déclencher : elle comporte toutefois un inconvénient par rapport à la réaction 2D + 3He, qui constituera vraisemblablement la « fusion de seconde génération », puisqu’une partie de l’énergie cinétique relâchée est transportée par des neutrons ; ceux-ci peuvent déclencher des réactions secondaires et sont surtout difficiles à canaliser, car dépourvus de charge électrique.

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Figure 4.

Quant à la réaction 2D + 2D, elle est plus difficile à analyser car elle donne lieu à deux branches de produits (voir la réaction n°2 à droite) qui pourront réagir à nouveau entre eux. La quatrième réaction, mariant un proton seul avec un atome de bore, est très intéressante car elle ne produit que de l’hélium ; par contre c’est celle qui exige la température de déclenchement la plus élevée.

Soulignons toutefois que souvent, en science, une fois qu’on a atteint, grâce à une percée technologique, un ordre de grandeur donné, la même technologie permet de doubler voire même décupler une quantité désirée. Ainsi, passer de 100 millions à 600 millions de degrés ne devrait pas être à terme un grand problème.

La production d’électricité à partir de vapeur d’eau demeure malgré tout un processus primitif, le seul qui nous soit accessible avec les technologies actuelles. Seul un tiers de la chaleur transportée par la vapeur d’eau peut être converti en électricité, un pourcentage qui peut être amélioré si nous arrivons à produire, selon le célèbre principe de Carnot, de la vapeur encore plus chaude.

L’arrivée de la fusion nous permettra d’ajouter de nouvelles possibilités à cette pratique deux fois centenaire qui consiste à convertir de la vapeur d’eau en énergie motrice ou en électricité. Ainsi, la vapeur ne régnera plus toute seule, car une nouvelle méthode nous permettra de convertir directement l’énergie obtenue et de doubler la quantité d’électricité produite par unité de masse de combustible.

Cette nouvelle méthode est la magnétohydrodynamique (MHD), dont le principe de base consiste à faire passer des plasmas à haute température par un champ magnétique. Celui-ci crée un courant électrique à l’intérieur du plasma, qui est ensuite extrait par des électrodes situées tout au long de son parcours. L’absence de toute partie mécanique (car c’est le plasma qui se déplace) permet d’éliminer les intermédiaires et par conséquent les pertes.

Avec la MHD, et en y ajoutant des turbines pour récupérer et convertir la chaleur résiduelle, nous pourrons atteindre un taux d’efficacité de 80 %, comme le montrent des travaux effectués à la fin des années 1970 par des chercheurs du Laboratoire national d’Argonne aux États-Unis.

Un programme de recherche prioritaire mondial permettra de raviver ces travaux et de les adapter non seulement aux nouveaux réacteurs, mais également à ceux fonctionnant avec la fission. Dans le cas de la fusion toutefois, et en particulier celle de « deuxième génération » (deutérium/hélium-3) produisant des protons électriquement chargés plutôt que des neutrons, il sera plus facile de tirer tout le potentiel de la MHD.

Le traitement des matières premières et des déchets

Avec la fusion, nous serons en mesure de créer et de maintenir des plasmas à des températures de dizaines ou même des centaines de millions de degrés. (A titre d’exemple, la température au coeur du Soleil est de 15 millions de degrés « seulement », de 5700 degrés à sa surface et de 5 millions de degrés au sein de la couronne.)

A ces températures, il n’y a pas de substance connue qui tienne le choc ! Tous les minéraux, les roches et les matériaux à recycler peuvent être facilement décomposés en leurs éléments constitutifs, ceux du tableau périodique. Cela n’a rien à voir avec les plasmas de basse température (torches à acétylène, à arc électrique ou à induction) qui n’ont ni les propriétés ni la puissance de ceux engendrés par la fusion, et qui sont utilisés pour le traitement des surfaces (voir encadré).

Ainsi, pour la transformation des matériaux et des matières premières, la torche à plasma de fusion pourra décomposer, et ce à grande échelle, plusieurs matériaux en leurs éléments constitutifs. Non seulement un kilomètre cube de matière première pourra-t-il nous donner plusieurs fois la production annuelle des grands pays exportateurs de fer, de cuivre, d’aluminium et autres éléments, mais les « déchets » industriels ou ménagers, chimiques ou nucléaires, pourront être également transformés en ressources utiles.

Au-delà d’une simple séparation/concentration des éléments contenus dans les matières premières ou les déchets, une économie reposant sur la fusion permettra de créer des matériaux entièrement nouveaux, dotés de propriétés physiques inédites. On pourra même transmuter un élément du tableau périodique en un autre, ou en l’un de ses isotopes. Par exemple, les lasers petawatts se sont déjà montrés capables de transformer l’or en platine, et les possibilités de la transmutation dans le futur seront encore plus grandes.

Même si le développement de toutes ces possibilités demandera au moins une génération, leur réalisation dépendra de notre volonté à se mettre au travail dès aujourd’hui...

La torche à plasma de fusion : la redécouverte du feu

La torche à plasma actuelle

La torche à plasma actuelle est utilisée pour diverses actions de surface sur un objet : soit pour le recouvrir d’une peau dure ou réfractaire, un peu comme un vernis ; soit pour le recharger en matière après qu’il ait été ébréché, un peu comme un plombage dentaire.

Le principe consiste à insérer dans un jet de gaz à très haute température une poudre du matériau désiré, avant de le projeter sur la pièce. Il faut faire fondre très rapidement cette poudre pour quelle soit bien ramollie avant de s’écraser sur le support, qui se refroidira ensuite instantanément sans le chauffer, afin qu’il ne se dégrade pas. Il faut, pour fondre la poudre, une température de plus de 1000 degrés !

Nous aurons recours pour ce faire à trois types de torches : le chalumeaux à acétylène (dont le dard atteint des températures de l’ordre de 3000 degrés) ; la torche à arc électrique (d’une température de 7000 degrés ou plus) ; et la torche électrique par induction (atteignant une température encore plus élevée).

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Figure 5. La torche à plasma à arc électrique.

Schéma d’une torche à arc électrique, avec en haut à gauche l’entrée du gaz, qui passera ensuite dans l’arc électrique où il sera ionisé puis chauffé, et auquel on incorporera la poudre du matériau sélectionné avant pour former un jet à haute température, qui sera finalement projeté sur l’objet à traiter. Tous les types de torches actuellement disponibles produisent des flammes de moins de 10 000 degrés.

La torche à arc électrique (voir figure 5) utilise deux électrodes pour générer dans un arc un fort courant capable d’ioniser et de chauffer le gaz. La torche par induction va profiter du fait qu’un jet de gaz ionisé est conducteur, pour y induire en son sein un courant. Ce mode est plus propre du fait de l’absence d’électrodes, mais plus compliqué à mettre en œuvre.

La caractéristique générale des torches à plasma actuelles est de travailler avec des températures inférieures à 10 000 °C, de faire fondre le matériau d’apport sans en changer la nature, et de ne pas altérer la pièce traitée qui restera à température normale, ou peu s’en faut.

La torche à plasma de fusion

Avec la torche à plasma de fusion (figure 6), nous entrons dans un tout autre monde. Ne serait-ce que par la température du dard – on passe ici au-dessus du million de degrés – et du point de vue de la poudre injectée, il se passe quelque chose de radicalement différent : les composés chimiques (molécules) se désintègrent en leurs éléments atomiques de base, ceux de la table de Mendeleïev ! Tout produit injecté se trouve réduit à sa plus simple expression : on passe ainsi de milliards de composés chimiques à une grosse centaine d’éléments.

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Figure 6.

La torche à plasma de fusion utilise un procédé des plus simple : on injecte dans le jet de plasma issu du réacteur à fusion des morceaux du produit à décomposer, qui se sublimeront instantanément pour se mélanger au plasma. Et comme le jet est entièrement ionisé, il suffit de le faire passer quelques mètres plus loin entre deux longues plaques aimantées pour le diviser en ses composants élémentaires. Les atomes légers comme l’aluminium ou l’oxygène seront fortement déviés par le champ magnétique, et ceux plus lourds comme le plomb ou l’or le seront plus légèrement. Un tablier situé dans une chambre à vide et divisé en plusieurs cases récupère les atomes et fait tomber leur température jusqu’à l’état solide. Il ne reste plus qu’à les cueillir !

La première application évidente est le traitement des déchets urbains, industriels ou nucléaires. L’autre idée qui vient de suite est l’ajout d’une nouvelle dimension dans l’extraction minière. Là où les ressources sont épuisées selon les critères habituels, elles redeviennent exploitables : tout caillou, même le plus banal, pourra fournir des éléments de base de la chimie.

La pureté des matériaux produits est maximale et offre à la chimie industrielle des perspectives inenvisageables auparavant. Ce procédé est une réplique de la spectroscopie de masse, mais à bien plus grande échelle, et les quantités de matières traitées seront bien plus importantes que les simples traitements de surface effectués avec les torches actuelles.

Étant donné les flux de neutrons associés à la fusion de première génération, il faudra cependant attendre la fusion deutérium/hélium3 pour développer les torches à plasma de fusion.

L’aménagement du territoire et les grands projets d’infrastructure

Déjà, au début des travaux sur la fusion, des visionnaires comme le co-fondateur du Laboratoire Lawrence Livermore, le Dr Edwar Teller, pensaient que l’immense densité d’énergie fournie par les réactions de fusion pouvait être canalisée et utilisée pour le percement de canaux et de tunnels, l’aménagement de ports, l’exploitation de mines et autres activités demandant le déplacement de grandes quantités de terre. Aujourd’hui, avec ce type de technologies qui dégagent beaucoup moins de radioactivité que la fission, nous pourrions rapidement construire, à bien moindre coût, des projets hydrauliques de dimension continentale, (tels NAWAPA XXI en Amérique du nord et Transaqua en Afrique), ainsi qu’un deuxième canal à Panama ou un autre à travers l’isthme de Kra en Thaïlande, pour ne prendre que quelques exemples.

Les transports spatiaux

La maîtrise de la fusion nous permettra ainsi d’accroître massivement notre potentiel de densité démographique, ici même sur Terre. Cela ne signifie pas pour autant que nous renoncerons à aller dans l’espace, bien au contraire !

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Figure 7.

Comparaison en un transfert régulier par orbite de Hohmann entre les orbites la Terre et celle de Mars (en rouge) et un transfert en accélération continue grâce à la fusion (en vert).

Avec la fusion nucléaire, nous ne serons plus obligés, dans nos voyages vers d’autres planètes (ou les astéroïdes et comètes), d’emprunter les traditionnelles orbites de Hohmann, ces « routes de l’espace » (voir figure 7) qui nous permettent de voyager certes à moindre frais mais qui nous imposent un temps fou pour nous rendre à destination. Avec la densité des radiations cosmiques interplanétaires (du moins selon les premières estimations que nous avons pu faire au cours du voyage de Curiosity vers Mars), il nous faudra faire appel à la fusion nucléaire.

Celui-ci est le mode de propulsion qui nous permettra, grâce à sa grande densité énergétique, de maintenir les moteurs en marche pendant une grande partie du parcours, et d’obtenir une accélération variable mais significative, et ce sans trop accroître la masse du carburant embarqué. Résultat : les temps de parcours pourront être réduits des deux tiers, des trois quarts ou même au-delà, facilitant grandement les voyages interplanétaires habités. Nous pourrons en plus multiplier les fenêtres de lancement et donc les aller-retours, sans devoir attendre les configurations favorables habituelles entre les planètes.

Pour le cas où un astéroïde de masse importante viendrait à poser une menace pour la Terre (ou la Lune), la fusion nucléaire pourrait s’avérer le seul mode de propulsion nous permettant de rejoindre l’objet suffisamment à l’avance pour le dévier de sa trajectoire.

Nous avons vu dans l’encadré sur les réactions de fusion que les protons produits par la réaction de fusion de deuxième génération, celle fonctionnant au deutérium-hélium-3, sont chargés positivement. A l’aide d’un champ magnétique approprié, ceux-ci pourront aisément être extraits et canalisés afin de former, avec les noyaux d’hélium également issus de la réaction (plus l’ajout éventuel d’hydrogène liquide juste avant la sortie de la tuyère pour accroître les performances), un faisceau de particules dirigées et dotées d’une très grande énergie cinétique. En raison de la quasi-absence des neutrons produits par la première génération, un système de conversion thermique (toujours relativement lourd et inefficace) ne sera plus indispensable. Ceci diminuera d’autant le poids total de la fusée. Plusieurs projets de moteur de fusée à fusion nucléaire sont actuellement à l’étude.

La fusion deutérium-hélium-3 ouvrira également la voie à l’exploitation des vastes réserves d’hélium-3 présentes sur la Lune, dont une partie pourra être ramenée sur Terre. Grâce à la maîtrise ultérieure de la fusion de troisième génération, à partir de protons et d’atomes de bore, tous deux abondants sur Terre et n’exigeant aucune transformation préalable, l’humanité disposera alors d’une source d’énergie encore plus abondante pour les prochains siècles.

Conclusion

Le développement de plates-formes industrielles associées à l’économie de la fusion générera une vaste panoplie de technologies dans les domaines des lasers de haute puissance, des accélérateurs de particules, des générateurs de plasmas très chauds, des centres d’essai d’explosions dirigées et de propulseurs spatiaux, travaillant toutes en réseau et se complémentant entre elles afin de transformer le système global de l’économie humaine en une force de dimension interplanétaire.