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Le programme lunaire chinois : nouvelle perspective pour l’humanité

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(Groupe Espace de S&P)—Le 15 décembre 2013, la sonde spatiale Chang’e-3 s’est posé sur la mer des Pluies et a déposé sur la surface lunaire un véhicule d’exploration téléguidé équipé de plusieurs instruments. En ce faisant, la Chine est devenue la troisième puissance à atteindre notre satellite. Le dernier alunissage en douceur remontait à la mission soviétique Luna 24, en août 1976, il y a plus de 37 ans.

Avec cet exploit, la Chine entend s’engager durablement dans un programme d’exploration lunaire. Elle n’a pas l’intention de se contenter d’un simple aller-retour, comme le montre d’ailleurs le nom même du rover, « lapin de jade », qui est l’animal de compagnie de la déesse de la Lune, Chang’e. Ainsi, ceci correspond à quelque chose de très profond dans la culture chinoise, et il n’est pas question de simplement planter un drapeau et de lever le pied.

Cette mission ouvre une nouvelle ère : celle d’une présence humaine permanente sur la Lune. Il ne s’agit donc pas d’une simple campagne de propagande, mais de quelque chose relevant de la capacité de penser à long terme, ainsi que de la patience légendaire, de la culture et de la civilisation chinoises. Ceci s’intègre à une politique de développement économique physique à long terme, dont la Lune devrait être un élément critique, en tant que base, pour l’expansion future de l’humanité.

Ainsi, comme l’affirmait le cosmonaute russe Vladimir Kovalenok, la Chine devient, grâce à cette percée et, serions-nous tentés d’ajouter, la pensée qui la sous tend, « une pionnière dans ce domaine, et ses missions lunaires deviendront le catalyseur de l’exploration lunaire dans les autres pays, la Lune pouvant servir de base pour des séjours vers des destinations plus lointaines ».

C’est pourquoi la Chine a décidé pour cette mission de s’équiper d’instruments permettant de sonder le sous-sol lunaire jusqu’à une profondeur de 100 mètres, et d’en déterminer la composition avec une précision inégalée : une entreprise qui démontre encore une fois les objectifs à long terme de ce pays, car il s’agit de jeter les bases d’une future exploitation minière de la Lune. Six des huit instruments de la mission (quatre sur le rover et quatre sur l’atterrisseur statique) sont déjà été activés et sont en train de subir la batterie de tests préalables à leur mise en opération.

Ouyang Ziyuan, le père du programme lunaire chinois, celui qui a réussi à convaincre le gouvernement en 2004 d’initier ce projet, soulignait récemment que la raison pour laquelle il avait décidé, dès son plus jeune âge, qu’il est nécessaire d’explorer la Lune, est qu’il avait entendu parler d’astéroïdes et de comètes ayant un jour percuté la Terre et provoqué l’extinction des dinosaures. Que se passerait-il si cela devait arriver à nouveau, s’est-il demandé ? Et en regardant la surface de la Lune, il vit qu’elle était marquée de nombreux cratères, et que cela donnait une idée de la menace à laquelle nous sommes confrontés ici même sur Terre, ainsi que de la manière dont on pourrait y échapper. Quand aux autres services que pourrait rendre la Lune à l’humanité, il explique :

« La Lune contient de larges réserves de métaux tels que le fer. L’hélium-3, un isotope de l’hélium, est un combustible idéal pour la fusion nucléaire, la prochaine génération de centrales nucléaires. On estime que les réserves d’hélium-3 sur Terre ne sont que de 15 tonnes, alors qu’il en faudra 100 sur une base annuelle pour satisfaire à la demande mondiale lorsque cette filière technologique sera en opération. La Lune a des réserves estimées à quelque chose allant de 1 à 5 millions de tonnes. »

L’ancien astronaute américain Harrison Schmitt, le seul scientifique, un géologue, à avoir mis le pied sur la Lune (Apollo 17), a déclaré récemment que la « Chine n’a pas caché son intérêt pour les ressources en hélium-3 de la Lune ». Schmitt a lui-même demandé, depuis des années, que les Etats-Unis entreprennent l’exploration des ressources minières de la Lune. C’est dans ce cadre qu’il faut voir l’objectif chinois, pas très lointain, de ramener des échantillons de roches lunaires, suivi de l’envoi, quelques années plus tard, d’une mission habitée sur la surface de la Lune.

Il est par conséquent important de placer le programme lunaire chinois dans le contexte de son programme de recherche sur la fusion nucléaire. Comme l’indiquent les déclarations du président chinois Xi Jinping, au cours de sa récente visite au réacteur de recherche EAST, un tokamak supraconducteur de dernière génération, «  la fusion est un grand dessein. Les êtres humains ne peuvent pas se passer d’énergie pour leur existence et leur développement, et l’usage de l’énergie ne sera pas soutenable sans les progrès de la science et de la technologie. La recherche sur la fusion ouvrira le chemin à des énergies alternatives pour l’humanité. »

Le succès de Chang’e-3 a amené les autorités scientifiques chinoises à devancer certaines échéances. Wu Zhijian, porte-parole de l’autorité responsable du programme lunaire, a expliqué que la mission Chang’e-5 devant ramener des échantillons de roches sur Terre aura lieu vraisemblablement en 2017, contrairement à 2020, la date souvent citée jusqu’à maintenant. L’Inde a également un programme visant à se rendre sur la Lune, ainsi que la Russie qui, avec son nouveau cosmodrome situé près de la frontière chinoise, se dote des moyens lui permettant d’aller de l’avant. Quant à la Corée du Sud, son nouveau président a déclaré que son pays avait lui aussi décidé d’accélérer son programme d’exploration lunaire, afin que sa première sonde orbitale, entièrement construite par ses propres moyens, soit prête à être lancée pour 2020 au lieu de 2025.

Il ne reste plus maintenant aux pays occidentaux qu’à se débarrasser du fardeau de la spéculation financière, et à emboîter le pas pour aller rendre visite à la déesse Chang’e.

Benoit Chalifoux