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Dianne Feinstein épingle Obama pour sa protection de la torture

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Karel Vereycken

(Solidarité&Progrès)—Le 11 mars, Dianne Feinstein s’est insurgée. Dans un discours devant le Sénat, l’ancienne maire de Los Angeles et influente sénatrice démocrate de Californie, a accusé l’exécutif d’avoir violé la Constitution de son pays. Elle a révélé que la Maison Blanche a donné l’ordre à la CIA de détruire des centaines de fichiers hébergés dans les ordinateurs des enquêteurs du Sénat, qui prouvaient le recours à la torture par les services américains. Ce qui est ici significatif est qu’il ne s’agit pas de la réaction d’un lanceur d’alerte novice, mais de l’intervention de l’une des personnalités politiques les plus expérimentées et habituellement les plus prudentes.

A l’origine de l’histoire, les tentatives des commissions sénatoriales pour enquêter sur les techniques « d’interrogations musclées » adoptées après les attentats du 11 septembre 2001. La CIA et des agences privées à son service arrêtaient des suspects, les enfermaient dans des prisons secrètes, y compris à l’étranger pour échapper au périmètre juridique américain, et les torturaient, notamment avec la fameuse technique du « supplice de la baignoire » (waterboarding).

Beaucoup de ces « interrogatoires » furent filmés, laissant des traces embarrassantes. En 2005, 92 vidéos de la CIA ont été détruites, mais quand les sénateurs, en consultant les procès-verbaux, constatèrent l’horreur de la chose, ils réclamèrent une enquête complète en 2009. Après bien des marchandages, la CIA autorisa les enquêteurs à consulter certains documents dans un bâtiment spécial hermétiquement cloisonné.

Noyés dans plus de 6 millions de pages sans référencement, les enquêteurs du Sénat tombèrent néanmoins sur une note interne de la CIA écrite par Léon Panetta, qui en fut le directeur de 2009 à 2011.

Dans cette note, des responsables de l’agence reconnaissaient eux-mêmes que leur agence s’était livrée à des pratiques illégales dont l’efficacité n’avait pas été démontrée. Pour pouvoir citer ce document dans leur rapport final de 6300 pages (toujours classifié secret), les enquêteurs copièrent sur leurs propres ordinateurs la note de Panetta et l’enregistrèrent sur leurs ordinateurs situés dans les enceintes protégées de la commission d’enquête du Sénat.

Ensuite, Feinstein rapporte une série d’incidents bizarres. Dès 2010, les enquêteurs du Sénat constatèrent que certains documents « disparaissaient » miraculeusement de leurs ordinateurs. Maintenant, Feinstein annonce que des centaines de pages du mémo de Panetta ont été « enlevées » par la CIA. Pris en flagrant délit, les opérateurs de la CIA ont affirmé avoir agi sur ordre de la Maison blanche.

L’homme qui était en charge de la torture à la CIA en 2001 s’appelait John Brennan. En 2009, Obama arrête le programme mais accorde l’amnistie totale aux bourreaux. Il leur trouve alors de nouvelles missions comme les assassinats ciblés par drone ou la liquidation de Ben Laden. Quant à John Brennan, après avoir été le conseiller en contre-terrorisme d’Obama, avec qui il définissait les cibles pour les attaques par drone, il se trouve promu à la tête de la CIA sur intervention du Président lui-même. Son adjoint aujourd’hui à la tête du service juridique de la CIA, Robert Eatinger, dont le nom apparaît 16 000 fois dans les enquêtes sur la torture, vient de saisir le ministre de la Justice, en accusant les enquêteurs du Congrès possédant le texte du mémo de Panetta d’avoir violé la loi !

Pour Feinstein, une amie d’Obama qui jusqu’ici avait toujours protégé les milieux du renseignement, la coupe est pleine. Le 13 mars, le député James Sensenbrenner, l’un des auteurs du Patriot Act voté par le Congrès au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 et qui s’est depuis rallié à Snowden pour dénoncer les dérives de la NSA, écrivait une lettre au ministre adjoint de la Justice Jame Cole dans laquelle il décrivait les accusations de Feinstein comme « tout à fait choquantes ».

Sensenbrenner a rappelé qu’il est explicitement interdit « à la CIA de s’engager dans toute activité de surveillance domestique », et que ses actes d’espionnage et d’intimidation sont une « violation flagrante des principes constitutionnels de séparation des pouvoirs. Ceci confère une image presque nixonienne à un gouvernement qui pense pouvoir agir en toute impunité derrière les rideaux. »

Le 12 mars, la dirigeante démocrate de la minorité à la Chambre, Nancy Pelosi, a souligné le courage de Feinstein pour s’être attaquée « à la communauté du renseignement, non sans preuves, et quand je dis preuves, il s’agit d’une documentation détaillée des accusations qu’elle avance ». Pelosi était pourtant, elle aussi, une fidèle de la Maison Blanche.

Pour la correspondante du Monde à Washington Corinne Lesne :

le sénateur républicain Lindsey Graham a comparé l’affaire aux scandales de l’époque de Richard Nixon. Son ami John McCain a préconisé la création d’une commission d’enquête indépendante. (…) Quand Barack Obama a pris ses fonctions en 2009, il a préféré tourner la page et renoncer à l’enquête sur le programme de détentions illégal demandée par la gauche. Cinq ans après, il pourrait se trouver contraint d’ouvrir la boîte de Pandore des agissements de la CIA.

En fait, le scandale est désormais d’une dimension dépassant le Watergate de Richard Nixon, car il s’agit ici de l’utilisation de l’ensemble de l’appareil d’Etat à des fins criminelles.