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Helga-Zepp LaRouche sur CCTV : relancer la Route de la soie ouvrira une nouvelle ère

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Entretien avec Helga Zepp-LaRouche, présidente internationale de l’Institut Schiller, réalisé par la chaîne chinoise internationale CCTV News à Beijing, le 14 mars 2014. Extraits.

Zheng Chenguang : Pensez-vous que l’industrie financière, les banquiers et financiers de Wall Street, aient enfin tiré la leçon de 2007, l’année où la crise a commencé ?

Helga Zepp-LaRouche : Non, je pense qu’ils sont incapables d’apprendre car ils sont trop déterminés par leur cupidité et leur amour du pouvoir. C’est im possible de les sauver. La seule manière de résoudre le problème est de fermer le casino financier en appliquant le Glass-Steagall Act, en effaçant l’argent virtuel. L’ancien ministre italien de l’Economie Giulio Tremonti a dit un jour que ce que vous possédez dans le virtuel ne peut être perdu, car vous ne l’avez jamais possédé au départ. Ainsi, si vous effacez les produits dérivés et autres instruments de financement « créatifs », vous ne perdez rien.

Il faut cependant passer à la seconde étape, consistant à mettre en œuvre un système de crédit dans la tradition du Système américain d’économie, celle d’Alexandre Hamilton, le père de la première Banque nationale des Etats-Unis, ou encore de Lincoln, Franklin Roosevelt et John Kennedy. C’est un système permettant d’émettre du crédit destiné à financer des projets bien définis. On ne crée plus de l’argent pour le jeu ou autres activités virtuelles, mais du crédit uniquement pour relancer l’économie réelle. Nous avons élaboré des propositions concrètes applicables très rapidement.

Par exemple, aux États-Unis, nous avons proposé un programme de gestion de l’eau et de l’énergie à l’échelle de tout le continent nord-américain, NAWAPA, qui est le plus grand projet de l’histoire. (…) Nous voulons créer du crédit à des fins productives et non plus au bénéfice de quelques spéculateurs.

Qu’en est-il de la situation économique européenne ? L’année dernière, nous avons vu des signes encourageants en Europe. Plusieurs pays de l’Union européenne ont appliqué des mesures, et on dit que la Grande-Bretagne prend les devants sur le chemin de la relance, que l’on s’attend à ce qu’elle devienne la première économie en Europe, si l’on en croit certains économistes britanniques. Qu’en pensez-vous ? L’économie européenne est-elle enfin sortie du bois ?

Absolument pas. La crise de l’euro a été seulement dissimulée, car si vous regardez l’état des économies du sud de l’Europe, comme la Grèce, vous avez 65 % de chômage chez les jeunes ; en Espagne, plus de 65 % également. Le seul pays qui soit encore en état de marche est l’Allemagne, le célèbre champion des exportations, parce qu’il peut exporter vers l’Asie. En temps normal, les exportations allemandes devraient aller vers l’Union européenne, mais le Sud s’effondre et la France est en bien mauvaise condition. L’Allemagne va relativement bien uniquement parce qu’elle compense les pertes de marché vers l’Union européenne en exportant vers l’Asie. Mais cette situation est très volatile.

Avant la Seconde Guerre mondiale, les pays européens étaient constamment en guerre les uns contre les autres. C’est pourquoi le projet européen fut mis de l’avant par Robert Schumann [le père de l’UE], afin d’assurer la paix en Europe. Pensez-vous que ce projet réussisse vraiment à éviter les guerres, à apporter la paix sur le continent ?

Non. Je pense qu’il y a une différence fondamentale entre la situation actuelle et ce que voulaient vraiment les gens au sortir de la guerre, comme par exemple la coopération entre Adenauer et de Gaulle, qui a surmonté la guerre et l’hostilité entre Français et Allemands. C’est une très bonne chose, et nous voulons poursuivre cette tradition de coopération entre les pays européens.

Cependant, ce que nous avons aujourd’hui, depuis l’adoption du Traité de Maastricht, est une structure supranationale qui s’est développée pour ses propres intérêts, totalement opposés à ceux des Etats membres.

La Chine en période de transition

Jetons maintenant un regard vers la région Asie-Pacifique. Parlons de la Chine. J’ai cru comprendre que vous aviez visité la Chine en 1971 et qu’à l’époque, de nombreux Chinois se demandaient où était leur prochain repas. Aujourd’hui, semble-t-il, les gens se demandent quelle voiture ils vont acheter, ou quel type de valise de luxe, et j’ai donc l’impression que la Chine a connu de grands changements au cours des dernières décennies.

Au moment où nous parlons, la Chine fait face à une nouvelle période de transition. Nous voyons bien que la croissance du PIB ralentit. La consommation prend le relais de la croissance. Que pensez-vous de cette marche vers l’avant de l’économie chinoise ? Pensez-vous qu’elle va continuer, que le miracle qu’elle a créé au cours des deux dernières décennies va se poursuivre ?

Je pense que ce projet de Nouvelle route de la soie, que le président Xi Jinping a annoncé, permettra à la Chine de le faire. Toutefois, dans le futur immédiat, si les marchés américain et européen s’effondrent (ce qui arrivera à coup sûr si on ne met pas en place Glass-Steagall), la Chine en subira de sévères conséquences. Il est donc plus qu’urgent, non seulement d’aller dans la direction de Glass-Steagall aux Etats-Unis et en Europe, mais également de penser à un nouveau système de crédit, dans l’esprit des accords de Bretton Woods.

Ainsi, l’idée de « Nouvelle route de la soie », qui est en réalité identique au projet de « Pont terrestre eurasiatique » que nous avons proposé il y a 24 ans, impliquerait de grands projets, des corridors de développement, la construction de lignes de chemin de fer à grande vitesse, de canaux, de systèmes d’irrigation pour verdir les déserts. Ces projets seraient entrepris au niveau international. Leur construction requiert donc des accords de crédit mutuel entre les différents pays, sur le long terme. Ce qui signifie que l’on ne peut pas s’attendre à faire des profits en quelques mois, mais qu’il faut planifier ces projets sur 10, 20, 40 ou même 50 ans, et par conséquent, arranger des lignes de crédit entre pays souverains pour financer tout cela.

C’est pourquoi nous devons songer à remplacer le système financier actuel, en voie d’effondrement, par un nouveau système de crédit entre pays souverains. Et je suis convaincue que la Chine aura alors un avenir fantastique, car elle est sur la bonne voie. Entre ce monde transatlantique en faillite et le monde asiatique, la différence est gigantesque. Car l’Europe s’est engagée sur une voie malthusienne « verte », tandis que la Chine, la Russie, l’Inde et la Corée vont dans la bonne direction, malgré certains problèmes. Elles se tournent vers des densités de flux d’énergie plus élevées dans leurs activités productives.

Par exemple, la récente expédition sur la Lune du rover chinois Lapin de Jade promet un bel avenir, non seulement pour la Chine mais pour le monde entier, car l’intention d’y exploiter l’hélium 3 dans le cadre d’une économie reposant sur la fusion, ici sur Terre, est exactement le bon choix politique. Ainsi, je pense que si la Chine poursuit ses efforts en ce sens, son avenir sera radieux.

Vous nous donnez une belle vision de l’avenir pour l’Asie. Mais je pense qu’en termes stratégiques, pour ce qui concerne la sécurité, la crise couve dans la région Asie-Pacifique, surtout avec les disputes territoriales s’intensifiant entre la Chine et le Japon, et des nations du Sud-ouest asiatique comme les Philippines. En avril, le président américain Barack Obama doit se rendre en Asie, en particulier au Japon et aux Philippines. Tous deux sont en dispute avec la Chine pour des questions territoriales. Pensez-vous que la Chine doive s’inquiéter de se voir encerclée stratégiquement par les États-Unis ?

Oui, je le pense. Car nous risquons aujourd’hui de voir les relations se détériorer jusqu’au point de déclencher une guerre mondiale. Car le Pacifique représente, malheureusement, la politique de pivot asiatique des États-Unis, ainsi que sa doctrine d’Air-Sea Battle, qui n’est qu’une variante de la conception utopique selon laquelle il serait possible de neutraliser la capacité de seconde frappe de la Chine. La Chine a clairement montré que c’est inacceptable et insensé. Le danger que posent à la fois la doctrine de défense antimissile et la doctrine Air-Sea Battle des États-Unis dérive du fait qu’elles incitent l’autre camp à opter pour une première frappe, car s’il attend, ce sera trop tard.

Nous sommes donc assis sur un volcan extrêmement dangereux, et c’est pourquoi nous travaillons très fort aux États-Unis pour provoquer un changement de l’intérieur, afin que le pays revienne à ses principes constitutionnels et abandonne ce type de politique.

L’héritage de la Deuxième Guerre mondiale

Je pense qu’il existe un risque plus immédiat, celui d’une dispute ou d’un conflit avec le Japon. Ce que la Chine reproche au Japon, c’est de ne jamais s’être sincèrement excusé pour les atrocités qu’il a commises pendant la guerre. Je pense que l’Allemagne et le Japon étaient dans la même position d’un point de vue historique, mais que l’Allemagne était réellement sincère dans ses excuses pour ce qu’elle a fait pendant la Seconde Guerre mondiale. Que pensez-vous du manque de volonté du Japon de reconnaître ce qu’il a fait pendant la guerre ? Et de leurs derniers exercices de rhétorique, afin de couvrir les atrocités de cette guerre ?

Bien sûr, je pense que c’est stupide et très dangereux. Mais il ne faut pas considérer ce que fait le Japon en dehors du contexte de son alliance avec les États-Unis. Car c’est réellement l’expansion des États-Unis dans le Pacifique qui donne au Japon l’occasion de se conduire de cette manière. J’espère qu’il y a des gens au Japon qui sauront, le moment venu, changer le cours des choses. Car c’est un pays qui, comme l’Allemagne, possède très peu de matières premières et dépend largement de ses exportations. Ainsi, la seule manière de résoudre toutes ces questions est le concept du Pont terrestre mondial, impliquant une coopération entre tous les pays, qui est bien plus dans l’intérêt de tous que tous les conflits locaux. (…)

Quelles actions concrètes les États-Unis et la Chine doivent-ils entreprendre, selon vous, pour éviter les mauvais calculs et transformer la région Asie-Pacifique en région de paix et de coopération, plutôt qu’en terrain d’affrontement ?

Encore une fois, je crois que nous devons nous concentrer sur les objectifs communs de l’humanité. Nous sommes assis en ce moment même sur une poudrière, pouvant aboutir à l’extinction de l’humanité, si nous poursuivons sur la voie de cette mondialisation cauchemardesque, celle du Partenariat transpacifique (TPP) et du TTIP (Zone de libre-échange transatlantique).

Tout d’abord, le système ne tiendra jamais jusque-là, car il est déjà en train de s’effondrer. L’idée est toutefois d’éliminer toute souveraineté nationale, au bénéfice de grandes sociétés qui dirigeraient ainsi le monde. Si cela devait arriver, nous foncerions droit dans le mur. Il y a là un terrible danger.

Nous devons donc nous mettre d’accord sur les intérêts communs de l’humanité, car nous sommes menacés d’extinction. Il y a beaucoup de problèmes qui requièrent une attention commune. L’un d’entre eux est de se débarrasser des missiles nucléaires. Il nous faut élaborer un système de défense commun, incluant tous les pays, pour rétablir la sécurité et rendre obsolètes les missiles nucléaires.

Ensuite, il faut se pencher sur les menaces découlant du trafic de stupéfiants et du terrorisme. Une coopération internationale doit être mise en place pour les éliminer et initier le développement. Car sans alternative valable pour un développement économique réel, afin d’améliorer le niveau de vie des populations, nous ne pourrons pas mettre fin à ces activités.

Donc, si nous voulons la paix au Moyen-Orient et en Asie du Sud-ouest, des pays comme la Russie, la Chine, l’Inde, l’Iran et, je l’espère, les Etats-Unis et certains pays européens devront coopérer pour développer ces régions. Car la pauvreté alimente le terrorisme.

L’humanité a d’autres objectifs communs. Par exemple, nous n’avons pas les moyens aujourd’hui de protéger notre planète contre le danger que peuvent représenter certains astéroïdes. Pourquoi ne pas nous atteler à défendre notre planète contre les objets venant de l’espace, les tremblements de terre et les tsunamis, ainsi que les volcans, qui sont des phénomènes pouvant être prévus grâce à certaines observations par des satellites appropriés ? Il y a tant de domaines où il faudrait travailler ensemble.

Il nous faut donc un nouveau paradigme, en phase avec la dignité et la créativité de l’espèce humaine, car c’est la seule manière de sortir de cette impasse. Il faut ouvrir une nouvelle ère de coopération, mais je suis optimiste car je suis convaincue que nous n’en sommes qu’au point embryonnaire où nous pourrons, si nous parvenons à nous ressaisir, nous comporter comme des êtres humains et envisager un avenir complètement différent de ce que nous avons connu jusqu’à présent.

Voir l’entretien en anglais