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30 ans de combat pour l’exploration de l’hélium-3 lunaire

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Karel Vereycken


Liu Yang, la première taïkonaute chinoise, bientôt en route pour ramener de l’hélium-3 de la Lune en vue d’alimenter des réacteurs de fusion nucléaire sur Terre. Crédit : NPR

Bien que ce soit un peu réducteur, tout indique que le programme chinois d’exploration lunaire soit en partie motivé par l’exploitation de l’hélium-3, un isotope rare, par ailleurs combustible idéal pour la fusion nucléaire sur Terre.

La démarche chinoise, certes à l’horizon 2025-2030 mais d’ores et déjà lancée, est franchement exemplaire et inspirante. Pour la Chine, extraire de l’hélium-3 lunaire et mettre en œuvre la fusion nucléaire sur Terre sont désormais deux priorités nationales.

La Chine construit actuellement 28 réacteurs nucléaires et pense tripler sa capacité nucléaire d’ici 2020. En mai 2011, elle annonça comme objectif de former 2000 scientifiques et ingénieurs dans le domaine de la fusion nucléaire d’ici la fin de la décennie.

En mobilisant toutes ses ressources dans le spatial et le nucléaire, deux secteurs aux frontières de la connaissance, la Chine, encore présentée récemment avec mépris par le président Obama comme « l’atelier » du monde, en deviendra plutôt le laboratoire.

Pour l’économiste américain Lyndon LaRouche, la démarche chinoise combinant l’espace et la fusion nucléaire, qui fait appel « à un travail productif à haut flux de densité d’énergie », définit un « nouveau concept de productivité » que les Occidentaux feraient bien d’assimiler.

Un peu d’histoire


Dans les années 1980, l’équipe du professeur Gerald Kulcinski fut la première à découvrir le rôle de l’hélium-3 dans les réactions de fusion a-neutronique. Crédit : Université du Wisconsin

C’est dans les années 1980, lorsque l’exploration spatiale et la recherche sur l’énergie de fusion se sont rencontrées aux Etats-Unis, que les premières propositions pour explorer l’hélium lunaire furent formulées.

Si les échantillons de régolite lunaire furent ramenés par les missions Apollo dans les années 1970, ce n’est que dans les années 1980 que l’équipe de Gerald Kulcinski, de l’université du Wisconsin (Fusion Technology Institute), étudiant les différents types de réaction impliquant les isotopes de l’hydrogène et de l’hélium, s’est rendu compte que celles utilisant l’hélium-3 ne produisaient aucun neutron mais, chose révolutionnaire, des protons, c’est-à-dire des particules chargées (et, de plus, stables).

Fusion a-neutronique

Appelée fusion « de la IIe génération » car plus difficile à obtenir, les chercheurs se sont rapidement rendu compte que cette fusion « a-neutronique  » était qualitativement supérieure aux réactions deutérium-tritium. Car au lieu d’utiliser les neutrons pour chauffer de l’eau et faire tourner des turbines pour produire de l’électricité, les flux de protons peuvent être plus facilement convertis en énergie utilisable. A cela s’ajoute que l’hélium-3 est un excellent candidat comme combustible pour les moteurs de fusée à fusion nucléaire, outil incontournable pour entreprendre les voyages interplanétaires.

En 1986, Kulcinski organisa à l’université du Wisconsin un séminaire sur les différents combustibles possibles pour la fusion nucléaire. Un membre de son équipe se rappela alors que les échantillons de roche lunaire ramenés par les missions américaines Apollo et russes Luna contenaient de petites quantités d’hélium-3. Assez rare, on calcula que la quantité totale disponible sur Terre ne pouvait dépasser 200 kg. A l’opposé, sur la Lune, planète non-protégée d’un champ magnétique filtrant les particules chargées en provenance du Soleil, il pouvait en exister de grandes quantités. L’équipe de Kulcinski proposa dès 1986 l’exploitation de l’hélium-3 lunaire.

En juillet 1987, l’hebdomadaire américain Executive Intelligence Review (EIR), fondé par Lyndon LaRouche, publiait un premier article sur la question en s’inspirant des propositions de Kulcinski. Lorsqu’en 1989 (vingt ans après Apollo), le président Bush (père) annonça que les Etats-Unis allaient retourner sur la Lune, le sujet de l’hélium-3 lunaire refit surface. Pour des raisons purement budgétaires, le Congrès américain enterra le projet.

La livraison de l’été 1990 du magazine 21st Century Science & Technology, une autre publication de LaRouche, faisait sa une sur l’utilisation potentielle des ressources lunaires pour le développement terrestre : « Mining the Moon to power the Earth ».

En 2006, dans un long papier publié par le magazine Fusion, notre collaborateur Philippe Jamet avait brillamment fait le point sur le potentiel fantastique des ressources lunaires.
Harrison Schmitt

En 1994, avec la nomination du géologue et ancien astronaute d’Apollo 17, Harrison Schmitt, comme professeur adjoint à l’université du Wisconsin, un astronaute géologue venait ainsi se greffer sur une équipe de chercheurs nucléaires.

Lorsque Bush (fils) annonça à son tour en 2004 qu’avec le projet Constellation, les Etats-Unis retourneraient sur la Lune, l’équipe Kulcinski/Schmitt lança une initiative médiatique pour faire connaître ses recommandations, notamment lors d’un documentaire de la BBC où Kulcinski, pour faire rêver les Américains, présentait la Lune comme « le golfe Persique du XXIe siècle  ».

Dans la foulée, en 2006, Harrison Schmitt publiait son fameux livre Return to the Moon.
La Chine s’éveille

De son côté, Ouyang Ziyan, le père du programme lunaire chinois, en détailla dès 2004 les quatre étapes majeures (sondes orbitales lunaires, analyse in situ et collecte d’échantillons, envoi d’un homme sur la Lune), réveillant du même coup ceux qui, en Russie, en Europe, en Inde et au Japon, craignaient de se faire dépasser dans ce domaine par la Chine. Aux Etats-Unis, jusqu’à l’annulation du programme Constellation par Obama en 2010, le retour sur la Lune restait à moyen terme un objectif national.

C’est ainsi que depuis l’atterrissage réussi du rover chinois « Lapin de Jade », en décembre 2013, et l’annonce ce dimanche 10 août qu’une première sonde chinoise va être placée en orbite autour de la Lune avant la fin de l’année, le monde connaît un nouveau « moment Spoutnik ».

A nous de trouver de nouveaux Kennedy et de Gaulle, car sans eux, pas sûr que les Occidentaux se réveilleront !