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l’Institut Schiller a 30 ans
Notre naissance nous a voué à une haute destinée

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Helga Zepp­LaRouche, présidente
et fondatrice de l’Institut Schiller

Préface

Si Friedrich Schiller était témoin de notre siècle, que penserait-­il de la situation actuelle ? D’un côté des « élites » corrompues et affamées de pouvoir ; de l’autre des masses victimes de leurs goûts vils et se sentant impuissantes dans leur frustration. Si Schiller concluait déjà, dans ses Lettres sur l’Edu­cation esthétique de l’homme, que le développement de la capacité d’empathie (Empfindungsvermö­ gen) était la nécessité la plus pressante de son temps, que dirait­-il aujourd’hui de ces générations d’enfants et de jeunes gens, pratiquement transformées en simple prolongement de leur console vidéo ou de leur avatar sur les réseaux sociaux, bien que leurs émotions soient « cool » ou, plutôt, réfrigérées ?

Schiller écrit dans sa 4e Lettre : « Tout individu, peut­ on dire, porte en lui, en vertu de ses dispositions et de sa nature, un homme pur et idéal, et la grande tâche de son existence est de se mettre, à travers tous ses changements, en harmonie avec l’immuable unité de celui­-ci. » Cette manière de poser la question est aussi valable aujourd’hui qu’elle le fut à son époque ; pourtant il semble plus difficile pour nos contemporains de reconnaître la pertinence d’un tel défi que de réussir à le relever. Notre « zeit­ geist » – l’ensemble des habitudes et des modes qui caractérisent notre époque – nous porte vers un comportement totalement contraire, à donner libre cours à chacune de nos pulsions sensuelles tout en encourageant nos goûts les plus pervers, au point de les glorifier par des Oscars, des Césars et des Prix Nobel.

Même si les problèmes de son époque étaient modérés par rapport à ceux que nous vivons aujourd’hui, les analyses et les recommandations de Schiller n’en sont pas moins fondamentales : seuls l’art et la science sont fondés sur des principes universels, libérés du poids de la tradition, des conventions et des opinions, et c’est par conséquent par eux seuls que le progrès de la pensée humaine peut être accompli.

Schiller exige de l’artiste, bien qu’il vive toujours dans une époque bien précise, qu’il ne soit jamais la créature de son temps : il doit renoncer à son zeitgeist. Il doit se développer en étudiant des âges plus nobles, marqués par des idéaux plus élevés, pour ensuite critiquer son propres siècle d’un point de vue approprié : « Non pas pour amuser les autres par sa présence mais en se montrant terrible, pour le purifier, comme le fils d’Agammemnon. » (Lettre IX). Il convient ici d’éclairer ceux qui ont été trop occupés par les divertissements télévisés et les bavardages frivoles sur les réseaux sociaux pour s’in­téresser aux Anciens, que le fils d’Agamemnon, Oreste, procéda à la purification du domaine paternel souillé par le meurtre et l’adultère en tuant sa mère et son amant.

Voici donc le conseil de Schiller : « Sapere aude : aie la hardiesse d’être sage ! Il faut l’énergie du courage pour lutter contre les obstacles que l’indolence de la nature et la lâcheté du cœur opposent à l’enseignement de la vérité. » Cependant, ce courage moral, qui doit servir la sagesse et suivre ce que lui suggère la « voix » intérieure, s’est retiré bien loin ; il a été chassé par la soupe insipide des « convenances », par la « compromission » et le « populisme de masse » qui embrouille aujourd’hui le jugement des peuples, et dont la recette fut soigneusement concoctée par les cabinets juridiques de Wall Street et les instituts de relations publiques. Ce sont eux qui sont devenus les gardiens de nos idées, définissant ce qui peut être dit et ce qui ne doit pas l’être. Ainsi, libérés de la lourde obligation de la réflexion, nous savons d’emblée quel point de vue il faut adopter si nous voulons appartenir au club. Cependant, Schiller fait ici une distinction et reconnaît les victimes de cette société manipula­trice ; il éprouvait très clairement de la compassion pour tous ceux qui étaient éprouvés par la dure bataille pour la survie et qui n’avaient plus les moyens de vaincre, celle plus difficile encore, contre l’ignorance. Pourtant il ne pouvait qu’éprouver du mépris pour les couches relativement privilégiées de la société qui justifient en toute connaissance de cause leurs privilèges en défendant de fausses théories contre la vérité, parce que celle­-ci menace leur position.

« Vis avec ton siècle, mais sans en être la créature. Dispense à tes contemporains non pas les choses qu’ils vantent, mais celles dont ils ont besoin. » Tel est le conseil de Schiller. « Engage le monde sur lequel tu agis sur le chemin du bien » et tu seras toi­-même engagé sur ce chemin lorsque tu auras fait du nécessaire et de l’éternel l’objet des passions de tes frères humains. Car c’est l’idée d’un futur nécessaire et plus beau, l’espoir en des temps meilleurs que l’artiste et même l’homme d’État doivent éveiller chez le peuple, pour le rendre libre intérieurement.

Les 30 ans de l’Institut Schiller

L’idée de fonder l’Institut Schiller date de 1983, lorsque la crise en Europe était à son apogée et que les missiles américains (Pershing­2) et soviétiques (SS-­20) étaient dirigés l’un contre l’autre, prêts à être lancés. En raison du très court laps de temps dont on disposait pour la riposte, ces systèmes d’armes nucléaires étaient dans un état d’alerte permanent, appelé « lancement sur alerte », avec pour conséquence le risque constant d’une guerre nucléaire non intentionnelle. Au début des années 1980, les gens étaient non seulement au courant du danger – ils étaient descendus en Allemagne par centaines de milliers dans les rues – mais les ressentiments grandissaient des deux côtés de l’Atlantique.

Même dans les milieux conservateurs allemands, il y avait une progression notable de l’anti­-améri­canisme, liée à la perception que les intérêts n’étaient plus les mêmes en matière de sécurité. Après tout, l’Allemagne serait devenue une double cible en cas de crise et même Helmut Schmidt avait mis en garde à plusieurs reprises contre le danger imminent d’une Troisième guerre mondiale. Aux États­-Unis, ces manifestations engendrèrent un climat anti­-allemand et anti­-européen comparable à la réac­tion américaine, au cours des années 1990, à la neutralité de la France et de l’Allemagne face à la guerre en Irak. On alla même, plus tard, jusqu’à rebaptiser les « french fries » (frites) « freedom fries », afin de priver la France de l’honneur d’avoir donné son nom à ce bâtonnet de pomme de terre !

Ces tendances du début des années 1980 – nous sommes encore à l’époque de la Guerre froide – mettent en lumière le problème auquel se trouvait confrontée l’Allemagne après la Seconde guerre mondiale ; ainsi le secret le mieux gardé de l’OTAN était, d’une part, que l’Allemagne restait un pays occupé et sans aucune souveraineté et que, d’autre part, les dirigeants soviétiques cherchaient à la détacher de l’Occident.

L’idée fondatrice de l’Institut Schiller était donc d’élever les relations germano-américaines à un ni­veau complètement différent, et de contrer en même temps les influences à l’œuvre des deux côtés de l’Atlantique, conséquences des événements terribles qui ont marqué le XXe siècle. L’objectif de l’« Associa­tion pour la responsabilité publique », autre nom donné à l’Institut, était que chacun des deux pays puisse s’inspirer de la meilleure tradition de l’autre. L’Allemagne devait par conséquent s’orienter vers la Déclaration d’Indépendance américaine et la Constitution des États-Unis, vers ces esprits excep­tionnels que furent Benjamin Franklin, Alexander Hamilton, John Quincy Adams, Abraham Lincoln, Franklin D. Roosevelt, Martin Luther King et John F. Kennedy. Et réciproquement, les États-Unis de­vaient se concentrer sur les classiques allemands ainsi que sur l’œuvre de ses nombreux grands scien­tifiques : depuis Nicolas de Cuse, Johannes Kepler et Gottfried Leibniz jusqu’à Albert Einstein et Max Planck, pour n’en nommer que quelques-uns.

Les deux pays pourraient alors s’inspirer du riche fondement que constituent tant l’idée du bien-­être général de la Constitution américaine que la conception de l’humanité développée par le classicisme allemand, pour déterminer les objectifs nécessaires pour l’avenir. La coopération entre les pionniers allemands de l’espace Werner von Braun et Krafft Ehricke, avec leurs collègues américains au sein du Programme Apollo pourrait servir de modèle.

L’activité de l’Institut Schiller devait se concentrer sur quatre domaines : culture, science, économie et histoire.

Au bout d’un an d’organisation et de préparation, la conférence inaugurale de l’Institut Schiller eut lieu en juillet 1984 aux États­-Unis, à Arlington (Virginie), puis, une autre en septembre, à Wiesbaden, en Allemagne, réunissant chacune plus de 1000 participants de 50 pays. On s’aperçut très vite cependant que ce besoin d’amélioration ne se limitait pas aux seules relations germano­-américaines, mais qu’il en était de même pour chaque pays européen et encore bien plus pour les relations entre pays « industrialisés » et pays en voie de développement.

La troisième conférence de l’Institut Schiller a eu lieu en novembre 1984, avec la participation de nom­breuses délégations des pays dits du « Tiers-­Monde ». Au cours des trente années suivantes, membres et amis de l’Institut de Schiller ont élaboré des programmes de développement détaillés pour presque toutes les régions du globe, afin de libérer la majeure partie du monde de son sous­-développement : depuis l’Afrique, l’Amérique ibérique jusqu’à l’Eurasie, incluant un programme de développement pour le sud de l’Europe et l’Asie du Sud­Ouest. Durant ces trois décennies, l’Institut a organisé 60 conférences sur quatre continents, parrainé de nombreux concerts au diapason de Verdi (La 432), re­traduit de nombreuses parties de l’œuvre de Schiller en plusieurs langues, organisé des centaines de festivals sur Schiller, des récitals et des concours, et formé des choeurs de jeunes dans plusieurs pays pour présenter des œuvres comme le motet de Bach Jesu meine Freude, le quatrième mouvement sur l’Ode à la Joie de Beethoven et sa Fantaisie Chorale, le Magnificat de Bach ou le Requiem de Mozart.

Depuis l’émergence du danger de guerre associé aux événements en Syrie et aux tensions liées à la doctrine AirSeaBattle américaine dans le Pacifique, l’Institut Schiller a organisé six conférences internationales en une seule année : deux à Francfort et quatre à New York, Washington, San Francisco et Los Angeles. Toutes avaient pour objectif spécifique la nécessité de remplacer le paradigme actuel de la mondialisation – avec tous ses axiomes monétaristes, son idéologie verte et sa conception oligarchique de l’humanité – par de nouvelles valeurs. Ce changement de paradigme devra remettre l’humanité sur la voie des principes développés par Schiller, qui répondent aux vraies lois de la création, telles que Nicolas de Cuse les exprima dans sa conception de concordance entre lois du macrocosme et celles du microcosme.

Le scandale de la NSA, en particulier, a ramené les relations germano­-américaines à un niveau plus catastrophique encore qu’au début des années 1980. Même les relations entre les pays européens, cen­sées avoir atteint la paix éternelle après avoir adopté « plus d’UE », sont désormais menacées comme jamais depuis 1945. L’image que se font beaucoup de gens de l’Allemagne en Grèce, en Italie, en Espagne ou au Portugal représente un danger potentiel pour la paix.

Les choses sont pires encore pour ce qui concerne les relations entre l’Afrique et l’Europe, dont Lam­pedusa est devenu le plus terrible des symboles. Et qu’est devenue la réputation des États-­Unis dans les pays d’Asie du Sud­-ouest, où les attaques par drones ont tué des milliers de civils innocents ? On pourrait énumérer encore longtemps les pays dont les relations ont dramatiquement empiré ces dernières années. La question est donc : peut-­on, dans les conditions actuelles, améliorer l’ensemble de ces situations, en reliant entre eux le meilleur des traditions et des potentiels de chacun et en se foca­lisant sur les objectifs communs de l’humanité ?

La réponse est incontestablement oui. Le genre humain est la seule espèce capable d’étendre volontairement les fondements de son existence : nous l’avons prouvé à d’innombrables occasions dans le passé. En l’espace de moins de 20 000 ans (une durée relativement courte), nous avons augmenté notre capacité potentielle de peuplement de quelque 5 millions de chasseurs­-cueilleurs, à l’origine, à 7 milliards d’êtres humains aujourd’hui. Pendant la même période nous avons, en tant que civilisation, soutenu nombre de générations et mené autant de batailles pour extraire les peuples, progressivement, du brouillard des superstitions mystiques et des craintes irrationnelles. Nous avons, en quelque sorte, ciselé les individus au travers de l’effet re­créatif des arts et des sciences – un processus ayant maintes fois atteint des sommets grâce au travail de génies extraordinaires mais ceux-­ci ne sont qu’un modeste exemple des domaines que l’humanité doit encore explorer dans le futur.

Devons-­nous alors perdre espoir, seulement parce que le processus de perfectionnement de l’humanité n’est pas linéaire et que nous sommes tombés une fois de plus dans un âge d’ignorance, comme au 14e siècle ou à l’époque de la Guerre de 30 ans, ou encore le fascisme et les Guerres mondiales du 20e siècle ? Ne devrions-­nous pas plutôt tirer de l’histoire une leçon d’espoir, fondée sur la capacité qu’a eue l’humanité de surmonter à de multiples reprises ces sombres périodes, en atteignant chaque fois un niveau supérieur de développement humain ? Le 14e siècle a été surmonté grâce à l’âge d’or de la Renaissance italienne ; quant à la Guerre de 30 ans, on en sortit une bonne fois pour toutes grâce à la période façonnée par Leibniz, Bach et les humanistes classiques. Après la Seconde guerre mondiale, nous avons eu avec le programme Apollo, ne fut­-ce que brièvement, un avant­-goût des périodes de développement de l’humanité à venir.

Les problèmes auxquels l’humanité est aujourd’hui confrontée requièrent une capacité d’imagination sans précédent, de telle sorte que les solutions apparaissent clairement. Danger de guerre, crise financière, famine et malnutrition, vagues de réfugiés, fascisme, drogue, violence chez les jeunes : on pourrait étendre bien d’avantage la liste de nos crises de nature existentielle. Leur simultanéité nous oblige à parler de crise de civilisation. Une chose est sûre : on ne peut plus continuer de cette manière encore bien longtemps, nous atteignons la fin d’une époque.

Pour empêcher que l’humanité ne s’extermine elle-­même, il faut un nouveau paradigme. Nous devons réussir à opérer le changement, en nous projetant en dehors de la géométrie actuelle, apparemment sans issue, pour atteindre un point de vue supérieur à partir duquel tout pourra être redéfini. Cela signifie que nous devons nous élever au­-dessus du niveau où les contradictions semblent insolubles, en faisant appel à une vision des objectifs communs de l’humanité.

En médaillon : Helga Zepp­LaRouche présentant la Déclaration des droits inaliénables de l’Homme. Grande photo : conférence de fondation de l’Institut Schiller à Wiesbaden, en 1984, avec 1200 participants de 50 pays.

Schiller contribua de manière remarquable au développement de cette méthode de pensée. Tout d’abord avec son concept de personne dotée d’une belle âme, capable de remplir ses obligations avec passion et de situer sa liberté dans ce qui est nécessaire ; puis avec son concept de sublime, qui permet de nous libérer de la crainte des choses matérielles et de nous sentir, même lorsque notre sécurité physique est menacée, en sécurité d’un point de vue moral ; il y a aussi son concept de bon Samaritain, celui qui aide les autres sans se préoccuper de ses propres intérêts ; puis le concept de citoyen du monde et pa­triote, et enfin sa méthode d’éducation esthétique, qui peut nous apprendre, à travers l’art, à nous li­bérer de l’illusion de la perception des sens et à nous hisser jusqu’au monde des idées ; les pièces de Schiller, sa poésie et ses écrits théoriques sont des remèdes salutaires pour nos contemporains, si l’on prend en compte le dessèchement de la pensée que nous avons décrit plut haut. L’Institut Schiller s’est donné pour mission de ne pas accepter d’être l’esclave de son époque mais de répondre avec sérieux au défi du Sapere aude (Ose savoir !). Or, Schiller lui­-même savait qu’il ne serait entièrement compris qu’au cours des siècles suivant sa mort.

Son poème Désir [Sehnsucht] est peut­-être l’une des plus belles métaphores jamais composées, celui qui transmet le mieux l’état d’esprit dont nous avons besoin aujourd’hui.

« Désir

Ah ! si je pouvais trouver une issue à cette vallée profonde, sur laquelle pèse un froid nuage, oh ! que je serais heureux !

Là­-bas j’apercevrais les belles collines toujours riantes et toujours vertes. Que n’ai­-je des ailes pour m’élancer vers ces collines !

J’entends résonner les douces harmonies du ciel, et des vents légers m’apportent des par­fums balsamiques. Je vois briller des fruits dorés sous un épais feuillage, et les fleurs qui s’épanouissent là­-bas ne seront la proie d’aucun hiver.

Oh ! qu’il doit être doux de vivre comme un éternel rayon de soleil. Et l’air de ces collines, comme il doit être rafraîchissant ! Mais la force du courant me décourage, et je vois soudai­nement, avec horreur, monter la vague qui me sépare de ces collines.

J’aperçois une barque se balancer sur l’onde mais, hélas ! il n’y a point de batelier. Allons, courage ! n’hésitons pas, les voiles sont enflées ; il faut croire, il faut oser, sans attendre l’assurance des Dieux. Dans la terre des miracles, tu ne peux qu’apporter un miracle. »

C’est pourquoi, cher lecteur, si toi aussi tu as le courage et la volonté de bâtir un âge meilleur, alors, rejoins l’Institut Schiller !