News / Brèves
Back to previous selection / Retour à la sélection précédente

Yannis Varoufakis : un discours d’espoir pour la Grèce

Printable version / Version imprimable

JPEG

Le ministre grec des Finances, Yannis Varoufakis.

Tribune libre

A l’heure où la crise grecque est au centre de tous les débats, nous reprenons ici une tribune libre du ministre grec des finances Yannis Varoufakis, publiée par Project Syndicate et traduite de l’anglais par Martin Morel.

ATHÈNES – Le 6 septembre 1946, le Secrétaire d’État américain James F. Byrnes se rend à Stuttgart pour prononcer son historique « discours de l’espoir ». L’allocution de Byrnes marquera un changement de ton de la part de l’Amérique vis-à-vis de l’Allemagne, et offrira à une nation en échec l’opportunité d’entrevoir la reprise, la croissance, et le retour à la normalité. Soixante-dix ans plus tard, mon pays, la Grèce, a précisément besoin qu’une telle chance lui soit offerte.

Jusqu’au « discours de l’espoir » formulé par Byrnes, les Alliés sont déterminés à faire de l’Allemagne « une terre principalement agricole et rurale  ». Il s’agit alors de l’intention exprimée dans le cadre du plan Morgenthau, élaboré par le Secrétaire du Trésor américain Henry Morgenthau Jr., et contresigné par les États-Unis et la Grande-Bretagne deux ans plus tôt, en septembre 1944.

En effet, lorsque les États-Unis, l’Union soviétique et le Royaume-Uni signent l’accord de Potsdam en août 1945, ils s’entendent sur « la réduction ou la destruction de toute industrie civile lourde présentant un potentiel de guerre », ainsi que sur une « restructuration de l’économie allemande en direction d’une industrie agricole et légère ». En 1946, les Alliés sont ainsi parvenus à réduire la production allemande d’acier de 75 % par rapport au niveau d’avant-guerre. La production automobile est désormais tombée aux alentours de 10 % du niveau d’avant-guerre. À la fin de la décennie, quelque 706 installations industrielles ont été détruites.

Le discours de Byrnes vient alors indiquer à la population allemande la fin de cette démarche punitive de désindustrialisation. Bien entendu, c’est grâce à ses citoyens ainsi qu’à leur travail acharné, à leur force d’innovation, et à leur dévouement à l’égard d’une Europe unie et démocratique, que l’Allemagne est parvenue à une telle reprise d’après-guerre. Pour autant, les Allemands n’auraient sans doute pas pu organiser cette magnifique renaissance d’après-guerre sans le soutien formulé par le « discours de l’espoir ».

Antérieurement au discours de Byrnes, et dans la période qui suivra, les Alliés de l’Amérique sont peu disposés à faire renaître l’espoir chez des Allemands défaits. C’est lorsque l’administration du président Harry Truman décidera de réhabiliter l’Allemagne que s’opérera un renversement définitif. La renaissance du pays s’amorcera alors, facilitée par le plan Marshall, par une restructuration des dettes décidée en 1953 et appuyée par l’Amérique, ainsi que par l’arrivée de main-d’œuvre migrante en provenance d’Italie, de Yougoslavie et de Grèce.

L’Europe n’aurait pas pu s’unir dans la paix et la démocratie si elle n’avait pas opéré un tel changement de cap. Il était nécessaire de mettre de côté les objections moralisatrices, et de porter un regard neutre sur un pays prisonnier d’un ensemble de circonstances vouées à ne reproduire que discordes et divisions au sein du continent. C’est précisément ce qu’a fait l’Amérique, elle qui est sortie de la guerre en tant que seul et unique pays créancier.

C’est aujourd’hui mon propre pays qui se trouve prisonnier de telles circonstances, et qui a par conséquent besoin d’espoir. Les objections moralisatrices censées aider la Grèce abondent à l’heure actuelle, privant sa population d’une possibilité d’opérer sa propre renaissance. Une plus grande austérité est aujourd’hui exigée d’un pays pourtant à genoux, qui a souffert du plus sévère degré d’austérité jamais imposé à un État en tant de paix. Aucune proposition de soulagement de la dette. Aucun plan de dynamisation des investissements. Et jusqu’à présent, pas le moindre « discours de l’espoir » en faveur de ce peuple en difficulté.

C’est particulièrement dans les sociétés anciennes, comme en Allemagne et en Grèce, que les épreuves du moment ont tendance à raviver de vieilles peurs, et à créer de nouvelles discordes. C’est pourquoi nous devons être prudents. Il est inacceptable que nous expliquions à nos adolescents qu’en raison de quelque « pêché de l’enfant prodigue », ils mériteraient d’être éduqués dans des établissements scolaires sans moyens financiers, ou d’être poussés vers le bas par un chômage de masse, qu’il s’agisse des adolescents d’Allemagne à la fin des années 1940, ou de la jeunesse grecque d’aujourd’hui.

À l’heure où je rédige ces lignes, le gouvernement grec soumet à l’Union européenne un ensemble de propositions combinant réformes en profondeur, gestion de la dette, et plan d’investissement destiné à réamorcer l’économie. La Grèce est en effet prête et désireuse de conclure avec l’Europe un pacte permettant d’éliminer les difformités qui ont conduit le pays à devenir le premier des dominos à chuter en 2010.

Mais si nous entendons voir la Grèce appliquer ces réformes avec succès, les citoyens du pays auront besoin d’un ingrédient manquant : l’espoir. Un « discours de l’espoir » pour la Grèce ferait aujourd’hui toute la différence – non seulement pour nous, mais également pour nos créanciers, dans la mesure où notre renaissance viendrait faire disparaître le risque de défaut.

Que devrait-inclure un tel discours ? De même que l’allocution de Byrnes fut à la fois courte en termes de détails et longue de symbolique, il n’est pas nécessaire que ce « discours de l’espoir » pour la Grèce soit extrêmement technique. Il s’agirait tout simplement de marquer un changement de cap, une rupture par rapport aux cinq dernières années d’ajout de nouveaux prêts à une dette déjà intenable, conditionnés à des doses supplémentaires d’austérité punitive.

Qui pourrait être l’orateur d’un tel discours ? Selon moi, il devrait s’agir de la chancelière allemande Angela Merkel, qui pourrait s’adresser au public d’Athènes, de Thessalonique, ou de toute ville grecque de son choix. Elle pourrait profiter de l’opportunité pour évoquer une nouvelle approche autour de l’intégration européenne, une approche débutant au sein du pays ayant le plus souffert, victime à la fois de la conception monétaire défectueuse de la zone euro, et des propres défaillances de sa société.

L’espoir a constitué le moteur du bien dans l’Europe d’après-guerre, et il peut aujourd’hui être un moteur de transformation positive. La formulation d’un discours par la chef d’État allemande dans une ville grecque constituerait une avancée considérable dans cette direction.