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France : L’hôpital doit retrouver sa part d’humanité

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Santé, hôpitaux :
Arrêtons le massacre !
L’hôpital doit
retrouver sa part d’humanité

Agnès Farkas

En France, depuis quarante ans, les divers gouvernements appliquent malheureusement leurs réformes successives de la santé à force « d’hyper-centralisation et d’hyper-administration ».

Seule la maîtrise des coûts reste promue au détriment des patients et des soignants et, de plus, la privatisation du système de santé porte inéluctablement en elle un projet malthusien : privés de protection sociale, les patients doivent s’assurer dans des mutuelles privées pour accéder aux soins vitaux, tandis que les soignants subissent une administration managériale oppressante qui les pousse à la maltraitance de leurs patients.

C’est le constat de deux livres récemment publiés sur la question.
Gestion et management des services publics

Dans Modernisation publique orthodoxe ou hétérodoxe : faut-il standardiser les fonctions support ?, Etienne Maclouf et Muriel de Fabrègues nous disent que la modernisation de l’action publique la plus récente, encore peu étudiée, « consiste à extraire les fonctions support dispersées dans les services opérationnels pour les installer sur des entités dédiées, les centres de services partagés (CSP). Ce processus d’agencification, c’est-à-dire la désagrégation structurelle et la création d’organisations spécialisées, symbolise l’agence moderne idéal-typique. »

Ce jargon de spécialistes exprime clairement l’opération de « désagrégation structurelle » des services publics, par la « création d’organisations spécialisées » d’administrations comptables au sein des hôpitaux publics et à la tête des ARS (Agences régionales de santé), enseignée par ces deux maîtres de conférences à la Sorbonne et destinée aux jeunes élèves des grandes écoles d’administration.

« Avec l’ajustement mutuel et la supervision directe, la standardisation est l’un des principaux mécanismes de coordination :

  • standardisation des procédés de travail (homogénéisation des règles de fonctionnement et des méthodes de travail formelles) ;
  • standardisation des normes (culture commune) ;
  • standardisation des résultats ;
  • standardisation des qualifications (normalisation des compétences permet une meilleure coordination). » précisent-ils un peu plus loin dans le document.

C’est appliquer aux services de santé les méthodes du fordisme des entreprises à la chaîne américaines.

Depuis la loi HPST (Hôpital, patients, santé, territoire) de 2009, tout un chacun peut mesurer la réussite de ces méthodes administratives de « supervision directe et standardisation » au nombre de patients laissés à eux-mêmes aux urgences pendant des nuits entières et aux suicides au sein du personnel hospitalier soumis à cette violence institutionnelle.

A la question : « Pourquoi les médecins sont-ils persuadés que la plupart des directeurs d’établissements sont là ‘pour casser du médecin’, que l’école de Rennes forme des cost-killers pourfendeurs de toubibs ? », Alain Mourier, le directeur de formation de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes, répond : « Ce sont des clichés. Je dirais qu’il s’agit de deux mondes qui se connaissent mal. De deux cultures différentes. Et nous avons encore plus de problèmes avec de jeunes médecins… »

(Cité dans Hôpitaux en détresse, Patients en danger, Philippe Halimi, Christian Marescaux.)

Face à cette déshumanisation du soin, l’Association nationale Jean-Louis Mégnien, fondée après le suicide de ce médecin par ses amis et collègues, appelle à mettre en œuvre au plus vite, au sein des hôpitaux publics, une « culture de la bientraitance » et à sanctionner sévèrement les auteurs d’actes de harcèlement administratif, qui, à ce jour, sont restés impunis ! Bien au contraire, ce sont les lanceurs d’alerte du personnel soignant qui sont harcelés ou suspendus, si ce n’est « dégagés », alors que l’administrateur reste à son poste ou est parfois simplement muté, sans déclassement, dans un autre établissement.

Notre santé est un bien précieux

Si nous voulons des patients bien traités, l’Etat doit garantir des soignants bien traités. Fondé, à la Libération, sur les trois piliers de la médecine générale, du service public hospitalier et d’un secteur privé réparti sur l’ensemble du territoire français, notre système de santé est solidaire.

Il s’appuie sur les libertés individuelles et l’indépendance des professionnels de santé, garanties de son bon fonctionnement.

Créé en 1945 sur cette base, le Conseil national de l’ordre des médecins compte aujourd’hui 291 000 membres, dont 205 000 en activité régulière.

Dans son livre Santé ; explosion programmée, le Dr Patrick Bouet, président du Conseil national de l’ordre des médecins, appelle à agir maintenant. Il lance un appel à sortir de la logique financière de gouvernance financière et à « refonder notre système de santé sur quatre principes fondamentaux :

  • Solidarité. Elle seule garantit l’égalité et permet que toute personne vivant sur le territoire français, quelles que soient ses ressources, puisse accéder à une offre de soin optimale.
  • Egalité territoriale. Chaque citoyen doit avoir accès dans sa proximité au système de santé.
  • Parcours de santé. Nous ne pouvons plus nous contenter de soigner les maladies. Il nous faut entrer dans la dimension du care et accompagner les individus tout au long d’une vie, dans une dimension physique, psychique, sociale et personnelle.
  • Service public. Reconnaissons enfin que tous les acteurs de santé, quels que soient leur statut et leur mode d’exercice, qu’ils soient libéraux ou salariés d’un établissement, effectuent une mission de service public. »

L’objectif est clair : tout individu ayant un problème de santé doit pouvoir bénéficier des soins optimaux de son territoire et, de préférence, nul ne peut déroger au principe de solidarité, parce que la santé est une mission de service public.

Tout comme le personnel soignant et médical, engagez-vous et interpellez les politiques.