News / Brèves
Back to previous selection / Retour à la sélection précédente

La ’crise des émergents’, l’arbre qui cache la forêt de la banqueroute occidentale

Printable version / Version imprimable

Solidarité&Progrès—L’inversion du « carry trade » [1] fait basculer toute une série de pays dans la crise, comme un jeu de quilles. L’Argentine, la Turquie sont les deux cas les plus médiatisés, mais sont également concernées l’Indonésie, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, la Malaisie, la Russie (doublement affectée en raison des sanctions), et même la Chine – autrement dit, tous les pays des BRICS.

La roupie indonésienne, par exemple, a chuté à 15 000 pour un dollar, le niveau le plus bas depuis la crise asiatique de 1998, provoquant la multiplication par trois de la dette étrangère. À l’approche des élections dans le pays, l’opposition porte le blâme de la crise monétaire non pas sur la crise internationale, mais sur l’augmentation de l’endettement lié aux projets d’infrastructures.

Il est essentiel de bien identifier les causes ; car la « crise des émergents » n’est que le premier effet visible du « tsunami financier qui vient », comme l’avait prévenu Jacques Cheminade lors de la campagne présidentielle de 2017.

L’enchevêtrement des dettes publiques et privées place de fait le système financier international en situation de banqueroute irrémédiable. Depuis 2008, son effondrement n’a été évité que « grâce » aux perfusions des banques centrales – la planche à billets de l’ « assouplissement quantitatif », et donc la baisse folle des taux d’intérêts, jusqu’à un niveau négatif. Et ce, pour sauver les plus riches, au détriment des classes moyennes et des bas salaires dans les pays occidentaux.

Mais l’augmentation récente des taux par les banques centrales (ayant pris acte du danger de perpétuer l’assouplissement quantitatif), cumulée à la politique fiscale de Donald Trump cherchant à attirer le dollar aux États-Unis, a provoqué une vaste fuite de capitaux depuis les pays émergents jusqu’aux États-Unis notamment, devenus soudain plus lucratifs. Rappelons que les émergents représentent aujourd’hui, si l’on ne prend que les BRICS, 60 % de la croissance mondiale.

Pour William White, l’ancien responsable de la Banque des règlements internationaux (la banque centrale des banques centrales), « les problèmes sous-jacents à la crise de Lehman [Brothers, en 2008] n’ont jamais été résolus ». C’est ce qu’il a affirmé au journal allemand Der Spiegel. Au contraire, ils ont été amplifiés, les banques systémiques devenant de plus en plus grosses. « La gestion de la crise a eu des conséquences indésirables. La dette est plus élevée que jamais, en particulier dans les pays émergents et en Chine. Dix ans après le déclenchement de la crise, un changement de politique s’impose depuis longtemps : Déjà, la réponse au krach boursier de 1987 avait été d’imprimer de la monnaie. Et cela s’est poursuivi de cette façon. Après chaque crise, les taux d’intérêts baissent et la dette augmente. Nous nous confrontons donc à une limite », explique White.

Partageant le même constat, Dominique Strauss-Kahn, ancien directeur général du FMI, affirme dans une interview avec l’AFP que dix ans après, les quelques mesures prises comme les ratios de capitalisation des banques ne suffiront pas pour affronter une nouvelle crise. « Imaginez que demain la Deutsche Bank ait des difficultés [sic], ce n’est pas les 8 % de capital dont elle dispose qui vont résoudre le problème. En vérité, on est moins bien préparé ».

Retour du Glass-Steagall dans le débat

Dans ce contexte, la question de la séparation bancaire, maintes fois évoquée puis mise sous le boisseau par le lobby bancaire et par des politiciens sans courage, refait surface.

Le 6 septembre, le site internet allemand d’informations financières Finanzmarktwelt a lancé un appel pour la mise en place d’une loi Glass-Steagall – séparation stricte des banques de dépôts et des banques d’affaires – « avant le prochain krach », afin de protéger l’épargne allemande, les banques locales et les crédits alloués aux Mittelstand (PME). L’auteur, Claudio Kummerfeld, évoque justement le risque imminent que représente la Deutsche Bank. La séparation bancaire permettrait, en cas de crise financière, que « les dépôts dans la banque primaire séparée en Allemagne ne soient pas touchés, et que le problème soit reporté sur les fonds propres et les capitaux investis dans la banque d’investissement à Londres. Ces pertes constitueraient alors un risque d’investissement pour les investisseurs, et non pour la stabilité du système bancaire allemand ».

En même temps, aux États-Unis, dans son bulletin mensuel, intitulé « Reconsidérer le Glass-Steagall », l’Association nationale des caisses populaires assurées par le gouvernement fédéral (NAFCU) appelle le Congrès américain à rétablir la loi abrogée en 1999. « La NAFCU estime que l’absence de séparation appropriée entre les activités de banque commerciale et d’investissement présente des risques qui méritent d’être pris en considération sur le plan législatif. (…) Par conséquent, la NAFCU recommande au Congrès d’envisager la mise en place d’un Glass-Steagall Act moderne pour répondre aux préoccupations bipartites vis-à-vis du système de la banque de l’ombre [‘Shadow banking’] ».

En France, preuve qu’un débat sur la séparation bancaire a bien lieu – alimenté par la mobilisation de S&P auprès des élus depuis plus d’un an –, la question a été posée à Jean Tirole, prix Nobel de l’économie, lors de son interview avec Le Figaro. « Cette séparation a une logique, mais il faut aussi comprendre que d’une part elle n’est pas facile à mettre en œuvre et d’autre part elle n’est pas la panacée », a-t-il répondu, sur la défensive. Et d’invoquer l’argument « bateau » de la Fédération bancaire française sur le fait que les banques touchées par la crise de 2008 étaient soit des banques d’investissements pures soit des banques de détail (voir ce que nous répondons à ce sophisme).

[1] Le verbe « To carry » en anglais signifie porter. En théorie, une stratégie de carry trade consiste à emprunter de l’argent dans une devise où le taux d’intérêt est faible pour la replacer dans une devise qui rapporte un taux d’intérêt plus élevé. Le carry trade ne génère un profit que si le différentiel de rendement ne s’inverse pas.


[1Le verbe « To carry » en anglais signifie porter. En théorie, une stratégie de carry trade consiste à emprunter de l’argent dans une devise où le taux d’intérêt est faible pour la replacer dans une devise qui rapporte un taux d’intérêt plus élevé. Le carry trade ne génère un profit que si le différentiel de rendement ne s’inverse pas.